Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/963

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous avons manqué de prévoyance et d’esprit politique, et voici que nous sommes condamnés à recommencer dans des conditions moins favorables ce qu’il nous était alors si facile d’achever. Le premier point est donc de remettre les choses sur le pied où elles étaient dans l’été de 1844, soit en agissant directement contre le Maroc, soit par une action concertée avec Muley-Abd-el-Rhaman. On sait que ce concert est aujourd’hui possible ; toutes les garanties désirables paraissent avoir été données à cet égard par l’ambassadeur marocain durant son séjour à Paris. Entre les deux périls qui le menacent, l’empereur s’inquiète moins des projets des Français que de ceux de l’émir, et un corps marocain commandé par un prince de la famille impériale sera mis, assure-t-on, à la disposition de la France, pour constater le bon accord des deux gouvernemens.

Mais, pendant que la France poursuivra Abd-el-Kader, il ne lui sera pas interdit d’avancer simultanément une œuvre pacifique et durable, celle de la colonisation. Si son gouvernement n’a pas trouvé moyen d’implanter sous peu d’années un demi-million de colons agricoles en Algérie, elle est destinée à subir dans l’avenir une humiliation sans exemple. Une colonisation sérieuse et prompte peut seule assurer l’Afrique à la France ; il n’est donc pas d’affaire qui engage au même degré la responsabilité du pouvoir. Il est temps de substituer à des essais faits sans ensemble et sans bon vouloir, et à des théories de colonisation militaire que la chambre repousse systématiquement, un vaste plan de colonisation civile connu du parlement, approuvé par lui, et auquel son adhésion viendra prêter la force morale qui a malheureusement manqué jusqu’ici à tout ce qui s’est fait en Afrique. Au lieu de commencer par appeler des colons, il faudra commencer par appeler les capitaux ; l’argent attirera les agriculteurs beaucoup plus que les agriculteurs n’attireront l’argent. Ce n’est pas en distribuant des feuilles et des secours de route à des malheureux exténués par la fatigue et par la faim, et en faisant de la Mitidja une sorte de succursale de nos dépôts de mendicité, qu’il est possible de constituer une colonie véritable. Le premier soin devra être de distribuer toutes les terres dont la France peut disposer à des capitalistes assez solides pour les mettre promptement en valeur. Cette distribution devra se faire soit par voie de concessions directes, soit par voie d’adjudications ; elle devra s’étendre non pas seulement à la France, mais à l’Angleterre, à l’Allemagne, à la Suisse, à la Belgique, à toutes les parties de l’Europe où manque la terre et où abondent les capitaux. A qui persuadera-t-on qu’il serait difficile de trouver à distribuer, soit à de riches particuliers, soit à de grandes compagnies, des terres d’une fertilité proverbiale, sous un climat admirable, à la porte des villes où flotte le drapeau tricolore, lorsque la France aura, par une loi, déclaré sa ferme volonté d’unir à jamais le sol algérien à son propre territoire, et qu’Abd-el-Kader aura été vaincu ? N’est-il pas plus rationnel de s’en rapporter aux propriétaires pour faire arriver les colons que d’aller soi-même quérir ceux-ci dans la partie la plus misérable de la population ? et la plus sûre garantie ne se trouvera-t-elle pas dans les capitaux engagés et dans