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III - ERREURS DE FENELON SUR LA POLITIQUE DE CONDUITE

Telle a été la part du chimérique dans Fénelon en ce qui regarde les matières de gouvernement. Examinons ses jugemens sur la conduite des affaires de son temps et sur la politique de Louis XIV.

Il a fait un grand nombre de mémoires politiques : sur quelle partie des affaires, sur quel événement n’en a-t-il pas fait ? On sait que les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse ne décidaient rien sans ses conseils ; il en donnait sur le connu comme sur l’inconnu, sur les nouvelles certaines comme sur les bruits les plus hasardés ; il réglait à la fois le présent et le futur, le provisoire et le définitif. Outre les mémoires sur la guerre de la succession et cette lettre trop louée de nos jours, où Fénelon donne des conseils si durs à Louis XIV, il n’est pas de circonstance qui n’ait produit quelque écrit de direction pour ses deux amis, et il n’est pas un de ces écrits où le chimérique n’ait laissé sa marque[1].

Parmi tous ces mémoires, attachons-nous à ceux qui ont exercé sur les esprits la séduction propre à Fénelon, par exemple la lettre à Louis XIV[2] : quel en est le trait le plus saillant ? C’est un blâme violent de toutes les conquêtes de ce prince. « Le bien d’autrui, dit Fénelon, ne nous est jamais nécessaire. » Il nie qu’on ait le droit de retenir certaines places, sous prétexte qu’elles servent à la sûreté des frontières. Il critique l’acquisition de Strasbourg ; il eût fallu, selon lui, faire réparation à la Hollande pour la guerre de 1672, rendre Valenciennes, Cambrai, Strasbourg, quoique Louis XIV les eût moins conquises par ses armes que reçues de la force des choses. Mais, ces places rendues, de quelles frontières la France devra-t-elle s’entourer ? De la vertu, dit Fénelon, de la modération, de la bonne foi dans les traités. Qui le nie ? Seulement de bonnes places n’y gâtent rien, et c’est un secours indispensable contre les voisins qui pourraient avoir d’autres maximes.

Je remarque en passant la manière dont Fénelon, dans cette lettre, parle de son ami le duc de Beauvilliers, « dont la faiblesse, dit-il, et la

  1. Mémoire sur la question de savoir si l’on doit rechercher le duc d’Orléans pour la mort du duc de Bourgogne. — Mémoire sur l’éducation du jeune prince. — Mémoire sur le conseil de régence. — Mémoire sur la manière de se conduire avec le roi.
  2. Retrouvée, comme on sait, au commencement de ce siècle, par M. Renouard.