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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/1033

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avec ses races barbares, ses révoltions perpétuelles, ses mœurs amollies et ses croyances immuables, l’Asie, pour le contenir, est à la fois trop remuante et trop immobile. Voici Tyr aux vaisseaux rapides qui dévoile les nations aux nations. Voici l’énigmatique Égypte avec sa théocratie silencieuse qui semble garder le secret de la civilisation : la Grèce le lui arrachera et le divulguera au monde. Elle la développe, elle la comment à la garde de ses défilés, elle lui gagne ses premières, ses immortelles victoires de Marathon et de Salamine. Déjà la civilisation ne se défend plus, elle attaque. Quel est ce jeune homme si passionné, si réfléchi, qui en est le chef et l’apôtre ? Il la promène triomphante sur toute l’Asie, lui élève Alexandrie, puis va mourir à, Babylone. Le tour de Rome est venu. La Grèce en expirant lui a légué « ses lettres, ses sciences, sa philosophie ; » Rome y ajoute sa législation, sa langue, ses armes. C’est par elles qu’elle attire ou pousse dans le cercle inévitable l’Italie, la Gaule, l’Espagne, l’Afrique. Arrivée au faîte enserrant une partie du monde dans son unité puissante, elle subit la loi commune. Des plaies affreuses, l’esclavage, la corruption, le despotisme, une inégalité sans frein, s’unissent pour la dévorer. La barbarie, refoulée jusque-là, accourt à la première espérance ; elle ramasse ses forces, se jette sur l’empire : c’en est fait de Rome, c’en est fait du monde.

Mais dans un coin isolé de la terre un enfant est né ; il était né chez un peuple expressément chargé de garder le dogme perdu de l’unité divine. Plongé dans les idées charnelles, le peuple juif n’avait pas su reconnaître le messie qu’il attendait ; il avait mis à mort le divin messager. Mais la doctrine qu’apportait celui-ci ne pouvait pas périr ; elle était vraie, elle était nécessaire au monde. Elle ne parut pas seulement à l’humanité déchue pour la relever vers le ciel ; elle parut pour établir de plus en plus le règne de Dieu sur la terre. Attirés par sa force toute-puissante, les barbares comme les vaincus arrivent à elle tour à tour ; avec les richesses, avec le territoire, ils trouveront la civilisation à laquelle seule ils ne songeaient pas. Que de temps pour qu’une telle révolution s’accomplisse ! L’ombre et la lumière luttent pendant des siècles ; les germes mystérieux de l’avenir fermentent au sein de la corruption ; « l’esprit de la Grèce, la législation de Rome, la religion de la Palestine, » le préparent en silence. De ce commun travail, à la religion revient la plus grande part. Quel est celui de ses bienfaits que Turgot n’a pas signalé ? Le sentiment de la dignité humaine rendu à la nation dégénérée, donné aux nouveaux venus ; l’égalité factice, exclusive, des anciennes républiques faisant place à une égalité libre dont la source est dans l’ame ; les vertus qui elles-mêmes s’étaient égarées reprenant leur place véritable ; la femme remontant à son rang naturel, à côté de l’homme ; la vie de l’enfant redevenue sacrée ; l’esclavage s’effaçant en partie ; le droit des gens adouci, et, par un miracle nouveau