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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/1083

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d’une intervention amicale dans leurs affaires, fut la première usurpation directe sur l’indépendance du Sind. Il estimpossible d’en méconnaître ou d’en nier l’injustice. Ce traité par lequel lord Auckland plaçait, en quelque sorte, une bombe toute chargée dans le palais des amirs pour la faire éclater et pour detruire ces princes quand bon lui semblerait, était en lui-même une action mauvaise, injuste, tyrannique. Toutefois, parmi les nombreux inconvéniens qui sont la suite d’une grande injustice nationale, il faut compter (et ce n’est pas le moindre) la nécessité de continuer ce qui a été déloyalement commencé. De fort honnêtes gens se trouvent mêlés à des transactions dont ils ne sauraient approuver l’origine. Quelques moralistes prétendent, il est vrai, que les gouvernemens se trouvent, à l’égard l’un de l’autre, dans les mêmes relations où sont placés les individus dans une communauté ; que, comme chefs et guides des nations, ils devraient être gouvernés par les règles qui s’appliquent aux chefs et aux guides des familles. Il serait heureux pour le monde que ce système fût praticable ; mais, quand un individu a fait tort un autre, s’il ne consent point à une réparation, il y a un tribunal au-dessus de tous deux auquel l’offensé peut en appeler. Appliquez cela aux nations : leur tribunal, c’est la guerre. Chaque conquête, chaque traité, les placent sur une nouvelle base, dans de nouvelles relations vis-à-vis l’une de l’autre. L’injustice première reste comme une tache sur le gouvernement qui s’en est rendu coupable mais ce gouvernement une fois passé, les gouvernemens qui succèdent se trouvent engagés dans de nouvelles combinaisons qui les mettent, pour leurs intérêts ou pour leur sûreté dans la nécessité absolue (et cette nécessité leur sert aussi d’excuse), non-seulement de maintenir, mais de continuer et de développer ce qui était d’abord très blâmable. »

Au moment même cependant où la vérité se faisait jour sur les intrigues qui avaient précipité du trône le vénérable amir de Khyrpour, une coïncidence assez singulière venait offrir a l’indignation publique un nouvel aliment C’etait a la fin de mai que Mir-Roustam était mort, et c’était pour les premiers jours de juin qu’on annonçait la vente du butin enlevé à Hyderabad et à Khyrpour. Il est bon de dire ici quelques mots des singuliers usages qui lient reciproquement le gouvernement anglais et son armée en temps de guerre.

C’est une convention établie de temps immémorial, un engagement tacite, mais irrévocablement contracté entre le guvernernent anglais et son armée, que, pendant la durée de toute guerre lors de toute expédition, les propriétés particulières, c’est-à-dire individuelles, de l’ennemi seront respectées ; en revanche, les propriétés collectives et nationales, le trésor public, les caisses civiles et militaires, les bijoux et effets précieux de l’état vaincu, sont considérés comme butin, c’est-à-dire comme un fonds à partager entre les soldats vainqueurs. Toutefois, au lieu de faire cette répartition à l’instant même, au milieu de l’enivrement de la capture, ce qui ne manquerait pas de produire des désordres, des scènes de violence et d’nsubordination, il est convenu que le gouvernement se fera le caissier général de toutes les prises, et qu’il en effectuera la distribution par l’intermédiaire ou sous la surveillance d’un comité des prises choisi par l’armée, comité dans lequel chaque corps a son représentant. Ce sont ces représentans qui décident en dernier ressort ce qui est ou ce qui n’est pas de bonne prise, c’est-à-dire quelles valeurs mobilières doivent être considérées comme propriétés particulières et quelles autres comme propriétés nationales de l’ennemi