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sur les destinées du pays. Le couronnement de nos rois n’est pas un vain cérémonial d’investiture, c’est une solennité mystique dans laquelle Dieu leur confère des graces particulières : l’esprit de justice, car dans l’ancienne monarchie toute justice découle du roi ; le don des miracles, car le roi de France, comme les saints, guérit les malades en les touchant. Il y a donc là dès l’origine, pour les faits merveilleux, une source qui ne tarira pas dans les âges de foi.

Chose vraiment remarquable, nous sommes, dit-on, le peuple le plus sceptique, le plus railleur de l’Europe, et cependant aucune autre nation moderne n’a fait dans ses annales une part aussi large à l’intervention directe, à l’action immédiate de la Providence. La confiance dans les sympathies du Dieu des armées pour le royaume laisse toujours une espérance lointaine au milieu des plus terribles désastres. Dans les vieux temps de notre histoire, le patriotisme et la foi se soutiennent et s’exaltent l’un l’autre. Le dogme de l’expiation explique les souffrances du peuple comme celles des individus, et quand les docteurs de l’église de France, effrayés des malheurs de la patrie, cherchent à la consoler, ils lui rappellent cet axiome chrétien : Dieu ne frappe que ceux qu’il aime.

C’est surtout au XIVe et au XVe siècle, en présence des invasions anglaises, que ce fait éclate dans toute sa force. Crécy, Poitiers, Azincourt, enlèvent à la France la fleur de sa noblesse et l’honneur de ses armes, et cependant la patrie survit toujours au deuil de ces grandes journées. L’ennemi hésite et s’arrête sur ces champs couverts de morts ; ses victoires ne sont pour ainsi dire que des haltes glorieuses dans la retraite, et Henry V, comme Édouard III, après le triomphe, recule jusqu’à l’Océan. Dans le parti français, au contraire, l’énergie s’accroît de la grandeur même des désastres. Qu’importe que les rois d’Angleterre ajoutent les lis à leur blason, qu’ils réclament la couronne comme un héritage ou comme une conquête ; ils ne seront rois de France devant le peuple et devant Dieu que le jour où l’archevêque de Reims, assisté de ses douze pairs, aura versé sur leur front l’huile de la sainte ampoule. La patrie incomplète et morcelée du monde féodal s’incarne comme une idée abstraite et mystique dans la personne des rois, et la religion de la royauté, qui est aussi celle du pays, enfante des martyrs. On peut choisir entre les nobles exemples ; nous n’en citerons qu’un seul, parce qu’il rappelle un dévouement digne des temps antiques, et qu’il est en quelque sorte oublié par l’histoire. En 1369, un bourgeois du Ponthieu, Ringois, conspira contre les Anglais qui tenaient le pays. Il fut arrêté dans une émeute, et les officiers d’Édouard III exigèrent de lui qu’il fît servir son influence à consolider dans sa province la domination anglaise. Sur son refus, on le conduisit dans la forteresse de Douvres ; là, on le plaça sur le sommet d’une tour qui dominait la mer, et on lui demanda, en menaçant de le jeter dans les flots, s’il reconnaissait pour maître Édouard d’Angleterre. — Je ne reconnais pour maître que Jean de Valois, répondit l’héroïque citoyen, et il fut à l’instant précipité du haut de la tour.

Le règne du roi Jean avait réduit la France aux plus tristes extrémités ; elle devait cependant descendre plus bas encore sur la pente des derniers abîmes, et, comme l’a dit un théologien du XVe siècle, aucun autre royaume sur la terre n’avait besoin de plus de secours, de prières et de pitié. La guerre civile et la guerre étrangère laissent à peine à nos rois de quoi payer le baptême de leurs enfans. Les campagnes ravagées se couvrent de landes et de bruyères. La couronne