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prouver que l’héroïne était douée de ce sixième sens que le magnétisme éveille dans l’homme, et que la crise cessa à l’époque du sacre de Reims. Avec la restauration, les horizons changent, et l’histoire entonne un dithyrambe monarchique. Pour donner quelque prestige au trône des enfans de saint Louis, il fallait l’étayer sur des ruines, et les sujets fidèles du royaume des lis évoquèrent la mémoire de la vierge de Vaucouleurs, comme on disait alors, pour montrer que Dieu ne marchandait pas les miracles, quand il s’agissait de rendre la couronne aux rois de l’exil. C’est M. de Marchangy qui donne le ton, et quand il arrive, dans la Gaule poétique, au glorieux épisode de 1429, les simples allures de l’histoire lui semblent trop vulgaires, et il encadre son érudition dans les guirlandes d’une épopée en prose et en douze chants. Le premier chant commence en paradis. C’est toujours là que commencent les poèmes sur Jeanne d’Arc. Saint Louis est assis au pied d’un chêne, au milieu des sages et des preux, et il écoute des troubadours qui redisent les belles actions des rois de France. — C’est débuter malheureusement dans une œuvre qui vise à l’orthodoxie que de faire pousser dans le paradis chrétien les beaux arbres de l’élysée antique, d’y faire chanter les louanges des rois quand on n’y chante que les louanges de Dieu, et surtout d’y placer des troubadours, ces roués du moyen-âge, à qui les casuistes les plus indulgens auraient à grand’peine accordé le purgatoire. — Tandis que les troubadours redisent les actions des rois de France, trois chevaliers tués à la bataille de Verneuil arrivent tout éperonnés, et informent saint Louis, qui était là tranquillement au pied de son chêne, de ce qui se passe dans son royaume. Le vainqueur de Taillebourg, qui voyait sans doute dans les Anglais autre chose que de bons alliés, se lève brusquement, appelle Coucy, Lusignan et Châtillon, et se rend avec eux au pied du trône de Dieu. « Seigneur, dit-il, vous oubliez votre peuple bien-aimé ; que deviendra ma race ; si les affaires marchent long temps de cette façon ? » Dieu répond par un sourire qui fait briller un triple arc-en-ciel Sur les frontières du firmament, et il ordonne à Gabriel de se rendre sur la terre pour y relever la tige pure des lis par les mains d’une vierge. Gabriel va trouver Jeanne d’Arc, et dès-lors, sauf quelques amplifications extra-monarchiques, les choses se passent à peu près comme dans l’histoire, jusqu’à l’épisode du sacre. Arrivé là, M. de Marchangy termine brusquement son poème, en courtisan bien appris, qui craint de se compromettre vis-à-vis du trône, de l’autel et de l’Angleterre, en montrant son héroïne abandonnée par le roi, condamnée par un évêque et brûlée par les Anglais, qui venaient de relever la tige des lis. La conclusion est de tous points digne du début. Jeanne, qui entrevoit vaguement sa destinée dans l’avenir, s’attriste et pleure, et Dieu envoie un ange qui la console en lui citant la mythologie et le phénix qui renaît de sa cendre. « Phénix des héroïnes et des bergères, dit l’habitant de l’éternel séjour, consolez-vous ; les anges vos frères vous tresseront des couronnes de lis, et les Geneviève, les Bathilde et les Clotilde vous feront place sur les gazons fleuris. »

Au point de vue de l’érudition sérieuse, nous citerons dans les premières années de la restauration les travaux de M. Berriat-Saint-Prix et de M. Lebrun de Charmettes. M. Berriat-Saint-Prix a tracé mois par mois, quelquefois jour par jour, l’itinéraire de Jeanne d’Arc, et c’est là ce qui fait le principal mérite de son livre, ainsi que la publication d’une lettre, jusqu’alors inédite, écrite par