Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettre à nu ces exagérations devenues vite populaires, d’artificielles qu’elles étaient ; on ôterait peut-être de la sorte à la susceptibilité germanique quelques-unes de ces arêtes trop vives auxquelles nous nous blessons tout en la blessant.

Le vice du patriotisme, c’est de revendiquer la supériorité absolue au nom d’un peuple contre tous les autres. Les Allemands croient ardemment à la leur, et lui trouvent de bonnes raisons d’être deux causes d’ordre naturel, la langue et la race ; deux causes d’ordre historique, la réforme et la philosophie, celles-ci données comme le produit nécessaire des deux autres. L’auteur indique alors avec beaucoup de tact ce qu’il faut retrancher à ces argumens, et il nous apprend bien ce que sont réellement les Allemands en nous apprenant ce qu’ils veulent être. Il explique, il combat cette prétention malheureuse d’avoir une langue qui se suffise toute seule, et un sang qui ait peuplé le monde ; il dit avec un accent pénétré tout ce qu’il y a là d’hostile au progrès commun des sociétés européennes, de contraire aux intérêts libéraux ; il s’attache du mieux qu’il peut à guérir la plus incurable de toutes les vanités nationales, la vanité par érudition. Quiconque a seulement conversé deux heures avec un Allemand est à même de voir combien le sujet est topique ; les deux heures n’auront point passé sans qu’on ait parlé de grammaire et d’ethnographie. Notre spirituel anonyme montre ensuite que la réforme n’est chose germanique ni par ses origines en tant qu’événement ni par ses conséquences en tant que principe ; il rend à Luther son rôle vrai, et à l’œuvre de Luther sa valeur intrinsèque. Enfin il pèse adroitement les inconvéniens et les mérites de l’esprit métaphysique, et il prouve, que, si c’était là par excellence et par exclusion l’esprit allemand, il faudrait penser que l’Allemagne s’en va, puisqu’elle se fait de moins en moins spéculative en se livrant de plus en plus aux agitations de la vie pratique. Le grand trait national, et certes aussi l’erreur de nos voisins, c’est donc aujourd’hui de réclamer par privilège spécial et par droit inné des capacités toutes particulières, c’est d’enfermer l’Allemagne en elle-même pour la mettre au-dessus du monde

A la suite de ses observations capitales sur le fond même du caractère qu’il étudie, l’auteur ajoute quelques détails bien appropriés qui complètent son jugement ; les mœurs et les habitudes, le mouvement des intelligences, le goût des émigrations, tels sont les élémens qui l’aident encore à constater le triste penchant dont il accuse l’Allemagne. L’amour de l’isolement, la simplicité des mœurs ; bourgeoises, l’efficacité des foyers scientifiques, partout répandus au lieu d’être concentrés, l’honneur des positions solides industrieusement créées sur la terre étrangère, voilà sans doute de précieux avantages ; mais toute médaille a son revers.

Pour peu qu’on sache se représenter les points essentiels auxquels est aujourd’hui fixée la pensée allemande, on les retrouve tous sous forme généralement nette et précise dans ces quelques pages. Il y a çà et là des répétitions, des négligences, une apparence de confusion qu’on aurait pu éviter avec une manière moins lâche ; cette manière même a pourtant son prix : les différens morceaux qui composent cet agréable travail se rapportent naturellement, et, si quelquefois la transition échappe, du moins n’en sent-on jamais le poids. Bref, c’est écrit sans fatigue ; on dirait une causerie de bonne et sérieuse compagnie. L’auteur n’a d’affectation d’aucun genre ; c’est une belle qualité par ce temps où tous les pédantismes courent sous le masque.


A.T.