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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/196

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L’abstraction métaphysique vint détrôner ces divinités, mais qu’y substitua-t-elle ? des hypothèses, des nombres abstraits et mystérieux, des tourbillons mécaniques. La philosophie positive a soufflé sur la chimère des tourbillons, comme elle avait brisé les cieux solides de l’antique astronomie, et elle a substitué à ces conceptions imaginaires la loi de l’attraction universelle.

Vous retrouvez les mêmes révolutions dans l’histoire des sciences physiques et naturelles. On a d’abord attribué les phénomènes de la nature à des causes que l’imagination divinisait : le feu, c’était Vulcain, l’eau Neptune. Les philosophes sont venus ensuite proposer leurs atomes, leurs élémens ; aujourd’hui les atomes de Démocrite et les quatre élémens d’Empédocle ne sont guère moins décriés que les dieux de la mythologie. On ne voit plus dans la nature que des faits et des lois.

Le régime religieux et le régime métaphysique n’ont conservé leur crédit que dans deux seules sciences, celle de l’homme et celle de l’histoire. Pour les en chasser et donner ainsi à l’esprit positif l’universel empire, il faut avant tout qu’on déracine ce faux préjugé soigneusement répandu par les théologiens et les philosophes, qu’il existe deux ordres de faits parfaitement distincts, les faits qui tombent sous les sens et ceux qui n’apparaissent qu’à la conscience. Tous les faits sont essentiellement homogènes, non sans doute qu’entre un phénomène physique et un phénomène physiologique la science ne constate des différences, peut-être ineffaçables ; mais tout phénomène réel doit être observable, et, pour cela, il faut qu’il tombe sous les sens.

Il n’y a que deux manières d’observer le moral de l’homme : ou l’on saisit nos facultés intellectuelles dans leur action visible, dans leurs effets palpables, dans leurs diverses manifestations, ou l’on constate les instrumens physiologiques qui servent à les produire. Toute autre observation est vaine. On croit observer l’homme : que fait-on ? On s’isole dans son moi, on s’exalte, et on prend ses rêveries pour des réalités et ses abstractions pour des êtres. La psychologie ne peut exister comme science qu’à condition de se rattacher à la physique, d’être une sorte de physique cérébrale. Il en est de même des phénomènes sociaux. Rien d’essentiel dans l’espèce qui ne soit dans l’individu. Si la physiologie a la physique pour base, la science de l’espèce humaine ou l’histoire a pour racine la physiologie et la physique. C’est une physique sociale.

Supposez ces deux lacunes remplies ; supposez que d’heureux génies parviennent à constituer solidement ces deux sciences nouvelles, la physique cérébrale et la physique sociale, et voyez l’admirable simplicité, la belle et puissante économie de la science humaine.

Devant l’intelligence un vaste et unique objet, des faits. Vous rencontrez d’abord les faits les plus simples, qui sont aussi les plus généraux : ce sont ceux auxquels s’attachent les mathématiques. Aux yeux