Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

timides, trop servilement attachés à l’expérience, trop positifs en un mot, et ils soutiennent qu’avec notre psychologie modeste et circonspecte, nous n’atteindrons jamais l’absolu. Nous avons déjà eu affaire à ces adversaires. Laissons-les pour le moment. Aussi bien ce sera toujours en France un titre d’honneur et une condition de force pour une école de philosophie que de s’appuyer sur des faits ; notre bon sens héréditaire nous arme d’avance contre le prestige de ces méthodes logiquement extravagantes, intrépidement chimériques, que des esprits impétueux essaient en vain d’acclimater dans notre pays. Revenons donc à de plus dangereux contradicteurs, et voyons ce que disent en France toutes ces écoles conjurées contre la psychologie.

La psychologie, à les entendre, est une science illusoire. Elle prétend au titre de science d’observation ; mais qu’observe-t-elle ? Est-ce l’homme, l’espèce humaine ? Non ; c’est le moi. Et qu’est-ce que le moi ? Un être isolé, sans lien avec la nature, qui se replie sur lui-même et se contemple solitairement. Ce moi sans organes est une pure abstraction. Il s’observe, dites-vous ; mais qu’a-t-il à observer ? Il ne fait rien, il ne produit rien. S’il agissait, il ne pourrait s’observer. Séparé du corps, de la société, de la vie réelle, renfermé en soi, sans passion, sans idées, sans but pratique, il est condamné à l’inertie. Vous le placez sur une pointe aiguë au sein du vide ; qu’y peut-il faire ? Ou rêver, ou dormir ; ou faire des systèmes, ou s’abîmer dans les muettes langueurs de l’extase.

Pour observer la vie, il faut vivre ; pour vivre, il faut agir ; pour agir, il faut un corps, une terre, une société. Votre moi qui vit sans agir, qui observe la vie et qui l’a perdue, est une contradiction. On voit trop bien que tout ceci n’est pas sérieux, que cette psychologie, tant célébrée comme science d’observation, n’est qu’un effort désespéré pour substituer à une métaphysique décriée de nouveaux systèmes parés d’un faux semblant d’exactitude, un ingénieux moyen de dérober aux sciences physiques leur prestige, et de spéculer à son aise sous la protection d’expériences imaginaires.

Voilà des objections qui paraissent sérieuses et puissantes ; j’en conviens, et j’irai plus loin : je les trouve sans réplique, à une seule condition, c’est qu’elles s’adressent, non à un être d’imagination, à un monstre qu’on arrange tout exprès et qu’on appelle psychologie, mais à la psychologie réelle, telle qu’une école considérable s’honore depuis quarante ans de la pratiquer. Évidemment il y a ici un malentendu. La psychologie que nos adversaires attaquent, nous la repoussons comme eux ; la psychologie que nous pratiquons, nos adversaires ne paraissent pas la connaître. Qui démêlera cet embrouillement ?

En voici, je crois, le moyen, et je commencerai par un aveu sincère qui, faisant d’avance aux adversaires de la psychologie leur juste part,