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terre, vers la nuée sereine où désormais il se balance au-dessus des forêts et des abîmes, au-dessus de l’immensité des flots ? En renonçant à la forme liturgique, l’adoration agrandit son domaine. Honorons le Créateur dans son œuvre : plus de psaumes, de cantiques et de versets selon le rite consacré ; il s’agit maintenant de se répandre en hymnes glorieux, d’atteindre par l’enthousiasme à la contemplation du Dieu vivant, de remplacer la contrition par l’extase. À cette idée de nouvelle origine, une forme nouvelle devait échoir. Lier en un faisceau inextricable, assembler, combiner les élémens les plus divers selon les lois de l’art le plus industrieux, le plus admirablement profond, voilà Sébastien Bach ; rendre la liberté à tous ces élémens captifs, leur donner la clé de l’air et des étoiles, et cela sans que la confusion en résulte, sans que ces masses déchaînées enfantent le chaos, telle est à mon avis l’œuvre de Beethoven. Si l’auteur des fugues va se perdre souvent dans les méandres sinueux de ses combinaisons chromatiques et enharmoniques, il suffit par momens à Beethoven d’une simple note pour l’enivrer de sa magie, et vous le verrez mainte fois, se laissant bercer par un accord, en extraire sans fin comme d’une de ces cassettes du fabuleux Orient des trésors toujours plus merveilleux et plus imprévus. La parole l’embarrassait, il y renonce, et c’est à propos de lui surtout qu’Hoffmann a pu dire si excellemment que la musique instrumentale est le plus romantique des arts.

Mais, après la musique instrumentale de Beethoven, je ne sais rien de plus romantique au monde que les opéras du chevalier Charles-Marie de Weber. Lui aussi, de sublimes instincts le possèdent ; lui aussi rêve tout haut de l’infini, avec cette différence pourtant que sa rêverie, moins préoccupée des causes générales, moins absorbée dans l’abstraction philosophique, s’attache davantage aux phénomènes de la nature, au pittoresque. Le romantisme de Beethoven a l’ame humaine pour objet ; esprit contemplatif, le chantre des symphonies se borne à traduire en un splendide langage ces éternelles vérités sur lesquelles, de Platon à Spinoza, tout grand génie a spéculé. Par lui, et c’est là l’immortelle gloire de Beethoven, la psychologie a passé dans la musique, et la langue des sons, sans rien dire de l’ampleur oratoire, de la magnificence du discours musical, a trouvé des formules pour les idées métaphysiques. Je le répète, Beethoven n’en veut qu’aux mystères de l’ame, à ses douleurs profondes, à ses déchiremens, à ses aspirations vers Dieu ; si la nature intervient dans ses œuvres, c’est toujours à titre d’agent secondaire et comme pour servir de confidente à l’immortelle éplorée, livrant, comme Isaïe, ses gémissemens sublimes aux flots du rivage, aux vents de la montagne, au nuage égaré à travers l’espace. Chez Weber, au contraire, le naturalisme prime tout, un naturalisme merveilleux, avide de superstitions et de légendes. S’il aime la forêt