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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/236

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toutes les choses de son art, pour négliger cette occasion d’augmenter le trésor de ses connaissances, et nous le voyons s’empresser de s’incliner devant l’autorité de l’excellent, de l’illustre théoricien, qui jadis enseigna son enfance, et retourner à l’école du vieil abbé, lui déjà maître, lui à la veille de donner trois chefs-d’œuvre à son siècle.

L’abbé Vogler avait dans sa classe un autre élève qui devait à son tour occuper plus tard l’attention de l’Europe. Nous voulons parler de Meyerbeer, venu de Berlin à Darmstadt pour suivre les cours du plus savant professeur de l’Allemagne. L’illustre auteur de Robert-le-Diable a conservé de cette période de sa jeunesse un souvenir presque religieux. Le nom seul du vénérable fondateur de l’école de Darmstadt suffit pour faire revivre à ses yeux tout un passé qu’il aime, et dont il ne parle jamais que d’un ton pénétré. « Venez à moi, écrivait l’abbé Vogler au jeune Meyerbeer après l’examen d’une fugue que celui-ci lui avait adressée de Berlin, venez à Darmstadt, et je vous accueillerai comme un fils, et je vous ouvrirai les sources vives de la science musicale. » Excellent homme ! quel autre langage eût-il employé pour encourager une vocation théologique ? Chez lui, je le crains bien, l’artiste, le maestro, marchait de pair avec le prêtre, s’il ne passait avant, et, sa foi religieuse et sa foi musicale se confondant l’une l’autre, il en résultait un amalgame de profane et de sacré qui, réagissant sur son enseignement, transformait le conservatoire qu’il dirigeait en une sorte de séminaire : étrange séminaire, il faut l’avouer, où se coudoyaient toutes les communions, qui vivaient ensemble le mieux du monde, à la condition de professer le même culte en matière d’art. Du reste, on travaillait sans relâche à l’école du bon vieillard ; c’était un véritable noviciat de bénédictins. Chaque matin, au point du jour, l’abbé Vogler disait sa messe basse, que servait Charles-Marie de Weber en sa qualité de catholique romain. — Que pensez-vous du jeune clerc ? Si vous eussiez dit alors à maître Samiel que ce frêle enfant de chœur si confit en dévotion l’évoquerait un soir, lui et sa bande, au carrefour du bois, maître Samiel lui-même, tout diable qu’il est, n’aurait-il pas eu bon droit de s’étonner fort ? — Sitôt après sa messe, le professeur, rassemblant ses élèves, leur tenait une leçon de contre-point, puis leur distribuait divers thèmes de musique d’église, sur lesquels on avait à s’exercer en commun, et terminait la séance par l’analyse de chacun des morceaux. Le plus souvent, vers quatre heures de l’après-midi, les travaux de la journée étant achevés, notre abbé emmenait avec lui un de ses jeunes gens, Weber ou Meyerbeer, et dirigeait la promenade du côté de la cathédrale où se trouvaient deux orgues. Aussitôt arrivés, maître et disciples s’emparaient des tribunes, le concert commençait, et les inspirations allaient leur train. On s’appelait, on se répondait, et d’un instrument à l’autre passait et repassait le motif voyageur, sorte