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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/243

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et de mystérieuses révélations, qui vous apporte je ne sais quelle sonorité puisée au cœur de la nature, l’écho de ces grottes peut-être où les sources vives prennent leur chaleur.

Ici Hoffmann s’interrompit pour lorgner du coin de l’œil le jeune homme qu’il avait amené, et qui, le menton appuyé dans le creux de sa main, la pupille dilatée, le front emperlé d’une sueur moite, paraissait s’attacher à suivre ses moindres gestes avec une anxiété nerveuse ; puis, après avoir donné le temps à Devrient de rallumer sa pipe et de remplir son verre, le conseiller de justice reprit : — Mais aussi, comme la musique fait partie de la contexture même de l’ouvrage, les intelligences myopes auront grand’peine à s’y reconnaître. J’avais à mon côté un brave homme à besicles d’or qui, du commencement à la fin, n’a cessé de s’agiter en proie aux plus convulsifs étonnemens - Voilà un motif bien écourté, murmurait-il après le premier couplet de Kilian ; puis, frappé d’une idée soudaine, il s’est mis à battre la mesure : un, deux, trois, quatre ; un, deux, trois ! Oh ! oh ! que veut dire ceci ? Ma main reste en l’air, plus de symétrie ! Qu’allons-nous devenir si les rhythmes ne se donnent plus la peine d’être carrés ? — Sur quoi je l’ai vu tirer son calepin pour y consigner soigneusement l’ingénieuse observation. Un moment après, pendant l’explication entre Caspar et Max, il ne pouvait s’empêcher de regretter tout haut que la scène se passât en dialogue. — Eh quoi ! point de musique ! mais c’est donc un âne que ce Weber, il y avait là un si beau duo indiqué. — Oui, sans doute, honnête philistin, pensais-je, un magnifique duo en félicita, avec récitatif, adagio, ritournelle de cor à piston, amenant la cabalette afin de donner le temps aux deux gardes-chasse d’arpenter le théâtre tout à leur aise. Qu’il y ait de pareils bélîtres en ce monde ! Je te laisse à deviner les stupeurs du compère pendant la scène du Wolfsschlucht, lorsque Caspar, du milieu de son cercle maudit, évoque Samiel, et, tout en préparant sa cuisine cabalistique, s’ingénie, l’incorrigible drôle, à ruser avec le diable. Pour un homme occupé à chercher partout des duos et de la symétrie, tu conviendras que la situation était originale, et que ce dialogue, moitié chanté, moitié parlé, avait de quoi troubler une aussi méthodique cervelle que l’était celle de mon voisin. — Où sommes-nous ? grand Dieu ! soupirait-il ; des lambeaux de récit cousus entre eux par des lambeaux de symphonie ! On ne sait ni qui parle ni qui chante. Bon ! l’acteur se tait maintenant, et voilà que l’orchestre commence : confusion ! mélodrame ! ouf ! — J’avoue qu’en ce moment ma patience était à bout. Je me suis retourné, et, saisissant au poignet ce diable d’homme qui m’avait tant fait souffrir depuis deux heures : — Vous appelez cela l’orchestre, monsieur, vous vous trompez ; c’est la voix des élémens conjurés, c’est la cascade qui pleure, c’est le vent qui siffle dans les sapins de la fondrière, c’est la