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Non, non, je vous avertis qu’il y a quarante ou cinquante mille hommes pour les défendre. »


Nous ne suivrons pas le fiscal dans sa prolixe énumération de tous les petits faits, de tous les commérages qu’il avait réunis pour fortifier l’accusation. De tout cela, il conclut que Montigny doit être considéré comme responsable des troubles qu’a encouragés sa coupable indulgence, et de tant d’ames dont elle a causé la perte. Passant à des imputations d’une autre nature, il lui reproche d’avoir tenu habituellement un langage irrespectueux et méprisant sur la personne du roi, d’avoir dit à Paris que les seigneurs des Pays-Bas étaient en mesure d’envoyer un gros corps de cavalerie contre le duc de Guise au secours du connétable de Montmorency, qui, sans doute, en cas de besoin, leur rendrait le même service ; d’avoir, à Madrid, en plein conseil d’état, déclaré qu’aucun de ces seigneurs ne prendrait les armes contre les rebelles, si sa majesté n’accédait d’abord aux demandes des confédérés ; d’avoir fait la même déclaration en présence de sa majesté, d’où résulte la preuve évidente que non-seulement il était informé de ces pratiques séditieuses, mais qu’il y prenait part ; de ne pas les avoir dénoncées à temps ; enfin, étant constitué prisonnier par ordre du roi, d’avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour s’échapper de sa prison, au point qu’il avait déjà achevé les préparatifs nécessaires, s’étant procuré depuis long-temps, par l’entremise de son secrétaire et de son majordome, les limes, les fers et autres instrumens indispensables, et ayant suborné un de ses gardiens par des promesses et des discours qui aggravent beaucoup ses autres délits. Trouvant dans l’ensemble de ces faits la preuve des crimes de rébellion, de conspiration et de lèse-majesté divine et humaine, le fiscal requiert que Montigny soit privé de ses honneurs et dignités, puni de la peine capitale, de la confiscation de ses biens et de toutes les peines conformes au droit.

Le duc d’Albe, par une commission rogatoire datée de son camp près de Liège, le 6 novembre 1568, transmit ce réquisitoire aux alcades de cosa y corte, c’est-à-dire aux juges de la cour criminelle de Madrid, en leur demandant d’interroger Montigny sur les faits énoncés dans ce document, et de l’inviter à désigner un ou plusieurs fondés de pouvoirs pour présenter sa défense. Un de ces alcades, D… Salazar, se transporta en conséquence au château de Ségovie, et procéda, le 7 février 1569, à l’interrogatoire du prisonnier. Le texte de cet interrogatoire est au nombre des documens récemment publiés à Madrid ; il suffirait à lui seul pour démontrer l’innocence de Montigny à celui même qui, se plaçant au point de vue de la cour de Madrid, en accepterait les préjugés et les étranges doctrines. Aux questions multipliées autant que minutieuses qui lui furent successivement adressées et qui n’étaient autre chose