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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/349

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la majorité en masse ; on demande aux électeurs de la décimer. Cette exaltation, ces injustices réciproques, ne seront pas partagées par le corps électoral, et ceux qui s’y abandonnent tiennent trop peu de compte de l’état moral du pays, qui paraît peu disposé à se prêter à ces proscriptions systématiques qu’on lui demande dans des intérêts plus personnels que publics. Pour nous, qui nous attachons à garder au milieu de ces préoccupations et de ces animosités un jugement droit et calme, nous ne saurions assigner aux élections comme résultat désirable ni l’immobilité, ni une secousse violente. La France ne veut ni de l’une ni de l’autre. Aussi ne trouvons-nous pas de base vraie et solide à la polémique électorale qui puise ses inspirations dans ces deux tendances que nous blâmons également. Demander au corps électoral d’élire une chambre qui abandonne toutes les traditions, tous les précédens de l’ancienne majorité, pour y substituer brusquement d’autres principes, c’est une prétention à laquelle résistera le bon sens du pays. Il n’est pas plus raisonnable d’inviter les électeurs à renvoyer aveuglément au Palais-Bourbon la même majorité, et à repousser avec obstination ceux qui pensent que le gouvernement et les chambres ont à introduire dans leur politique des modifications nécessaires et des développemens féconds. Sur ce point, les représentans d’une sage et habile opposition ne sauraient être trop affirmatifs, trop explicites. Il leur appartient de dire, de prouver à leurs électeurs, au pays, qu’ils ont dans des sujets essentiels, dans des questions vitales, des vues larges et positives. La liberté commerciale combinée avec la protection de l’industrie indigène, la liberté religieuse sainement entendue et conciliée avec les droits inaliénables de l’état, l’éducation et le bien-être des classes laborieuses, ces problèmes et bien d’autres encore appelleront de plus en plus l’attention et les études des hommes politiques. On se disputera sur ce terrain l’influence et le pouvoir. Si on ajoute à ces travaux législatifs les difficultés nombreuses qui pourront surgir des complications extérieures, il est évident que tout appelle une chambre qui sache se montrer progressive sans esprit révolutionnaire, qui sache sauvegarder dignement les intérêts et l’honneur de la France sans alarmer l’Europe. Il y a quelques jours, un des organes les plus distingués de la politique ministérielle disait de la dernière chambre qu’elle avait su gouverner. Puisse avec plus de raison le même éloge être adressé plus tard à la chambre que dans quinze jours vont nommer les électeurs ! La France a besoin d’une chambre qui gouverne, et, pour bien gouverner, une assemblée doit réunir dans son sein tout ce qui dans le pays a force, crédit, autorité, avenir. Ainsi donc pas d’exclusions étroites, de défiances sans fondement. Plus la chambre sera l’expression, l’image du pays avec ses instincts, ses idées, ses besoins, plus grande sera sa puissance morale, plus enfin elle gouvernera.

La nécessité de transformer, d’élever la politique suivie depuis quatre ans est si incontestable, qu’elle préoccupe le ministère lui-même. On lui prête de grands desseins. Il voudrait, dans la prochaine session, prendre l’initiative de mesures et de lois importantes. L’exemple de sir Robert Peel piquerait l’amour-propre de nos hommes d’état. Comme sir Robert Peel, M. Guizot se proposerait désormais d’entraîner à sa suite le parti conservateur dans la voie de sages réformes, d’utiles innovations. Aux triomphes de l’orateur, M. le ministre des affaires étrangères ambitionnerait de joindre l’honneur plus solide pour un