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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/384

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de ces ruines pour s’évanouir et disparaître au moins au milieu des morts de son peuple.

L’esprit, qui était au sommet du rocher, esprit mauvais et qui me tentait, me dit : « Choisis. »

Et dans le même moment la voix appela : « Césara ! »

Et je l’ai suivie, celle qui ne retournera jamais sur les cimetières de mort.

La neige tourne au-dessus de nous comme un linceul aérien ; l’aigle qui vole devant elle est tombé expirant au milieu des corbeaux morts. A peine si je puis apercevoir encore la chevelure ondoyante de celle que j’aime ; c’est en vain qu’au milieu des ombres qui nous enveloppent je cherche sa main ; elle disparaît au milieu du tourbillon !

Et mon sommeil continue. Je ressens toutes les douleurs de la séparation, tout le vide du néant. Il m’a semblé qu’en descendant avec eux dans le tombeau le Christ les a trompés, car ils ne se réveilleront plus ! Et celle que je suivais, que j’aimais, m’a aussi trompé ; car, pour l’éternité, elle m’a laissé au milieu des morts ! Et m’asseyant alors au bord de cette mer sans rivages, j’ai prié que mon ame s’en allât.

Et dans mes mains j’ai tenu ma tête, et au travers de mes doigts je voyais cet esprit maudit tenant sa harpe et se promenant dans le lointain en se riant de moi.

Et après, s’asseyant en face de moi sur un monticule de neige, il s’écria :

« Eh bien ! quoi, maintenant ? »

Et de dessous ses pieds sortit une nuée de corbeaux, et chacun d’eux, en passant au-dessus de ma tête, répétait dans un cri : « Eh bien ! quoi, maintenant ? » Et il m’a semblé que du sein des monceaux d’ossemens et des entrailles de cette terre gelée est sortie cette même parole : « Eh bien ! quoi, maintenant ? » L’esprit alors arracha sans bruit la dernière corde de sa harpe et la jeta sous les glaces en disant : « L’éternité a commencé. »

Et il m’a semblé que j’expirais en maudissant mon ame.

Mais alors la voix aérienne, la voix d’ange qui m’avait guidé sur cette tour merveilleuse se fit entendre. Venait-elle du fond de mon cœur ou du sein des nuages ?

Et moi, me levant en sursaut, j’ai crié : « Sauve-moi, car je meurs, et je meurs parce que tu m’as trompé ! »

Et mon rossignol ou plutôt mon ange répondit : « Césara, Césara, pourquoi regrettes-tu d’avoir sacrifié ta vie pour une morte ! ne crois-tu pas à la résurrection ? Et comment ressusciteront les morts si nous, vivans, ne les aimons pas, si nous ne leur donnons pas la moitié de notre sang et de notre vie ? »

Celle qui t’a pris ta vie te la rendra, car sa mort n’était qu’un rêve ! — Regarde !

Et, comme une étoile qui s’allume, j’aperçus alors la figure qui revenait des confins du monde. De la poussière répandue autour de moi s’élevaient des hommes, et au-dessus d’eux, dans l’air, le fantôme resplendissant du Christ. J’ai fermé les yeux et suis tombé la face contre terre au milieu des ressuscitans !


Le poème qu’on vient de lire nous transporte dans le monde des visions, des symboles, et l’interprétation est ici de rigueur. Ce groupe d’hommes silencieux