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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/411

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existait il y a cent cinquante ans[1]. Le phare d’Alexandrie s’élevait, dit Hérodien, comme un catafalque. Tout devait avoir un aspect funèbre dans ce pays des grands monumens de la mort ; mais il ne contenait pas les trois cents appartemens où l’on s’égarait, dont parlent les auteurs arabes, et qui me semblent être nés d’une confusion avec ce que l’on racontait du labyrinthe de Moeris. Au reste, les auteurs orientaux font mille récits merveilleux du phare comme des pyramides. Ils racontent, par exemple, pour donner une idée de sa hauteur, qu’un certain vizir fit monter à son sommet un homme auquel il ordonna de laisser tomber une pierre quand il verrait disparaître le soleil, et que la pierre tomba à l’heure de la seconde prière de nuit.

Ces fables suffiraient à prouver que ce curieux monument a survécu à la conquête musulmane. De plus, les musulmans énumèrent les tremblemens de terre qui ont ébranlé et entamé sa masse de siècle en siècle jusqu’en 1303. Au XIIe siècle, Edrisi et Abdallatif parlent du phare comme existant de leur temps. Il en est de même d’Abulféda, qui visita plusieurs fois l’Eypte au commencement du XIVe siècle. On est donc certain que cette merveille de l’antiquité était encore debout à cette époque. D’après une tradition arabe qui peut avoir plus d’importance que celle que je rappelais tout à l’heure, il aurait existé au sommet du phare d’Alexandrie un miroir construit par un ouvrier chinois, au moyen duquel on découvrait au loin tous les vaisseaux. Ce miroir, ouvrage merveilleux d’Aristote et talisman de la ville d’Alexandrie, dans lequel on voyait le ciel, la terre et toute la nature, pourrait bien n’être pas plus réel que le miroir des Pharaons, au moyen duquel ils apercevaient tout ce qui se passait dans leur empire, et que plusieurs autres miroirs magiques dont il est question au moyen-âge ; car, comme dit agréablement le père Montfaucon, c’est assez le génie des Orientaux d’inventer des choses si déraisonnablement fabuleuses. Cependant un savant distingué et point crédule, M. Libri[2], a considéré comme admissible que le miroir fût un télescope placé sur le phare d’Alexandrie. Il ne faut pas oublier que divers passages tirés des auteurs anciens et des écrivains du moyen-âge donnent lieu de penser que le grossissement des objets au moyen de certains miroirs était connu avant la découverte de Galilée[3]. Or, il paraît certain à M. Libri qu’un instrument analogue

  1. V. Montfaucon, Mém. de l’Acad. des Inscrip., VI, p. 581.
  2. Histoire des Sciences mathématiques en Italie, t. I, p. 221.
  3. Sénèque connaissait les miroirs grossissans (Quest. nat., l.I, c. 15). Roger Bacon avait conçu la possibilité de discerner de fort loin des objets très menus en raison de la grandeur de l’angle sous lequel ils seraient aperçus. Dans la seconde partie du Roman de la Rose, qui contient une sorte d’encyclopédie des connaissances du temps, il est parlé, d’après le Livre des Regards d’Albacen (vers 18234), de certains miroirs dont la puissance grossit et rapproche merveilleusement. Il faut avouer que, dans une lettre docte et spirituelle (Magasin encyclopédique, mai 1760), M. Boissonade combat plusieurs tentatives faites par divers savans pour prêter à l’antiquité ou au moyen-âge, à Ptolémée ou à Gerbert, un instrument semblable à un télescope.