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pas espérer de réussir sans la coopération de l’Espagne et du Brésil. Avec cette coopération, au contraire, le succès est certain. J’accuse donc les gouvernemens de ces deux pays de toutes les souffrances qui résultent de la traite des noirs, et je leur en laisse toute la responsabilité. J’espère que les gouvernemens et les peuples de ces deux pays sentiront la grave responsabilité qui pèse sur eux. J’espère qu’ils comprendront que l’Europe et le monde civilisé ont les yeux ouverts sur leur conduite. Si par malheur ces considérations élevées ne leur suffisent pas, qu’il me soit permis de les avertir du danger auquel ils s’exposent, danger qui est imminent. » L’Espagne comprit la portée de ces paroles et ne tarda pas à souscrire à toutes les mesures que souhaitait l’Angleterre. Le Brésil seul demeura sourd à toutes les instances.

Cependant la traite était plus considérable qu’elle ne l’avait été dans les années précédentes. En 1843, le prix d’un boral ou noir récemment importé était tombé de 1,400 fr. à 1,000 fr., tant les opérations des négriers, favorisées par les autorités locales, avaient été fructueuses. Dans les neuf premiers mois de 1844, il était arrivé de la côte d’Afrique à Rio-Janeiro ou dans les environs 13 négriers ; à Bahia 25, ayant un chargement de 4,971 esclaves ; Fernambuco en avait reçu un nombre proportionnel. De ces deux premiers ports, dans le même laps de temps, il avait été expédié 30 navires équipés pour le trafic des esclaves : encore ces renseignemens recueillis à grand’peine sur l’état de la traite étaient-ils sans doute fort incomplets. En 1844, le consul anglais à Rio-Janeiro écrivait à lord Aberdeen : « Telle est l’efficacité du système suivi pour dérober à la connaissance du public les opérations des négriers, qu’il est impossible de constater avec quelque certitude, soit le nombre des esclaves importés, soit celui des navires qui, après avoir déchargé leur cargaison de noirs, ont été équipés de nouveau et renvoyés à la côte d’Afrique. » On peut juger du développement de ce trafic odieux et des cruautés qui l’accompagnaient par ce seul fait, que, parmi les négriers arrivés à Fernambuco dans les trois premiers mois de 1844, il se trouvait un navire de 21 tonneaux qui avait transporté 97 noirs, ou 5 hommes par tonneau, et un autre de 381 tonneaux, qui avait pris plus de 900 esclaves ; sur ce nombre, 816 seulement étaient arrivés vivans, 500 moururent dans les premiers jours du débarquement, et plus de 100 avaient perdu la vue. En 1845, la traite se faisait sur une plus grande échelle encore. Dans les sept premiers mois de cette année, les croiseurs anglais ont capturé 39 navires brésiliens, ayant à bord 2,605 noirs.

A la grande surprise du cabinet anglais, le 12 mars 1845, M. Hamilton reçut une note du ministre des affaires étrangères du Brésil, qui lui annonçait que, le lendemain, c’est-à-dire le 13 mars, expiraient les