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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/490

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noblesse la passion de la mer, l’orgueil du pavillon national ; c’est d’avoir provoqué par l’ardeur de sa volonté les actions d’éclat qui honorent le plus nos annales maritimes ; c’est d’avoir appris à la France qu’elle peut, si elle le veut, prendre rang sur mer parmi les puissances de premier ordre.

Notre marine marchande, à peu près nulle avant Louis XIV, se développa, comme l’industrie, sous la protection d’un droit différentiel. Les Anglais faisaient respecter par des victoires leur fameux acte de navigation, principe évident de leur supériorité maritime. Cet acte est l’exclusion violente et à peu près générale de la concurrence étrangère, en ce qui concerne les transports. Défense absolue à tous les bâtimens dont les propriétaires et les trois quarts de l’équipage ne seraient pas sujets britanniques, de commercer dans les ports de la métropole ou des colonies ; défense d’y faire le cabotage ; défense aux étrangers d’importer la plupart des matières encombrantes ; défense même aux nationaux d’introduire les denrées ou marchandises qui ne sont pas tirées directement du pays qui les produit : est-il possible de porter une atteinte plus brutale à la liberté des transactions ? Cette fois encore, la France eut sur sa rivale l’avantage de la modération. A la fin du XVIe siècle, nos navires étaient molestés et soumis à des taxes arbitraires dans la plupart des ports étrangers, et comme, au contraire, aucun obstacle à la navigation n’existait chez nous, nos côtes étaient couvertes d’embarcations étrangères, qui avaient à peu près monopolisé le cabotage. Malgré l’avis de Sully et malgré l’opposition des parlemens, Henri IV voulut que les navires étrangers eussent à subir chez nous les mêmes taxes et les mêmes traitemens qui nous étaient infligés chez eux. Une disposition si vaguement conçue ne dut pas rester long-temps en vigueur. Vers le milieu du siècle, les Hollandais avaient reconquis chez nous, comme dans presque toutes les contrées de l’Europe, le monopole des transports maritimes ; ils possédaient, assure-t-on, dix-huit mille bâtimens, sur les vingt mille qui faisaient le commerce du globe. Ce fut alors que, sur l’avis de Fouquet, on assujettit à un droit de 50 sols par tonneau les navires étrangers qui aborderaient dans les ports de France pour y faire le négoce ou le cabotage. Cette mesure frappait la Hollande dans son intérêt le plus cher, dans ce commerce d’économie qui était son école nationale. Tous les efforts que fit la république pour obtenir le rétablissement de la liberté primitive furent neutralisés par la volonté de Colbert : l’abandon des 50 sols par tonneau ne fut arraché à la France qu’à la paix de Ryswick ; mais déjà le régime protecteur avait porté ses fruits. La marine marchande, que Colbert avait trouvée dans un état d’infériorité humiliante, avait eu le temps de prendre un développement très respectable. L’évidence de ce résultat est telle, que M. Clément ne peut refuser sa franche approbation à Colbert.