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L’entreprise de ranimer la puissante figure de Colbert était pleine de difficultés : il faut excuser M. Clément de n’y avoir pas parfaitement réussi. La vie du plus laborieux des hommes d’état qui aient existé se compose d’une série d’actes politiques, de règlemens, d’expériences sur les matières les plus diverses. Chacune de ces réformes exige l’exposition des faits antérieurs et une discussion de principes. Comment grouper de tels élémens pour obtenir un tableau animé et lumineux ? Comment bien faire sentir, dans cette transmutation incessante d’une époque, l’influence du moteur principal ? M. Clément ne s’est pas plus mis en frais de composition que de style. L’ordre chronologique qu’il a suivi pour énumérer les actes administratifs de Colbert rompt souvent l’enchaînement des faits analogues ; des détails instructifs deviennent parfois fatigans par leur incohérence. La biographie du héros, disséminée capricieusement dans l’ouvrage, ne laisse pas d’empreinte dans l’esprit du lecteur. Comme peinture historique, l’étude sur Fouquet, qui sert d’introduction, est beaucoup plus recommandable. Le principal titre de M. Clément est d’avoir fouillé avec une ardeur passionnée les innombrables documens amoncelés dans nos dépôts publics. Ce n’est pas qu’il se soit assimilé les milliers de volumes imprimés ou inédits qui lui ont passé par les mains, et dont il lui a plu de dresser l’inventaire à la fin du volume, suivant l’usage des érudits du XVIe siècle. La lecture du plus grand nombre des imprimés qu’il cite n’a pas dû éclairer beaucoup son sujet. D’autres sources bien plus fécondes et à peu près inexplorées avant lui sont les manuscrits de nos bibliothèques et de nos archives. L’auteur a résolument abordé le fonds Colbert, c’est-à-dire une collection réunie par Étienne Baluze, le savant bibliothécaire du grand ministre, et comprenant plus de six cents volumes presque tous in-folio sur les diverses matières administratives. Les autres collections laissées par des hommes d’état, les archives du royaume, le dépôt de la marine, ont également fourni des indications précieuses, que les historiens futurs de Colbert ne pourront plus négliger. En résumé, à défaut d’un livre bien fait, M. Clément a donné un travail très utile. Un honorable accueil a été sa récompense.

N’est-on pas frappé du contraste qui existe entre le ministre de l’ancien régime et le ministre constitutionnel ? Anciennement, il fallait s’effacer derrière le monarque et le grandir autant que possible : le conseiller le plus puissant était celui qui dissimulait le mieux son influence. De nos jours, le ministre doit se mettre en avant pour couvrir la couronne, exagérer même son influence personnelle pour déguiser la volonté dont il est l’instrument. L’habileté jadis était d’insinuer au monarque le vœu du pays ; aujourd’hui, c’est de faire adopter par les représentans du pays le désir du monarque. Sous le despotisme, la responsabilité est sérieuse et implacable : c’est la prison perpétuelle de