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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/552

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car jamais par rien d’éclatant ils n’ont attiré sur eux l’attention publique. Il est loin de notre pensée de rien dire de blessant pour des hommes estimables. C’est un intérêt politique qui nous préoccupe. Quand les électeurs envoient à la chambre des députés des hommes médiocres, à coup sûr ils pourraient mieux faire ; mais enfin la responsabilité du choix se divise sur une assez grande quantité de têtes, puis l’obscurité des élus va se perdre dans une chambre nombreuse, riche en capacités diverses, en hommes actifs et distingués. Dans le recrutement de la pairie, c’est la couronne qui prononce et choisit seule sous le contre-seing des ministres. Il importe donc au pouvoir royal, qui, dans cette circonstance, exerce les fonctions d’électeur sous le contrôle de l’opinion publique, de ne pas laisser tomber ses préférences sur des mérites par trop contestables. Et la pairie, où trouvera-t-elle sa force, si ce n’est surtout dans la distinction de chacun de ses membres ? La chambre des pairs n’a pas l’autorité politique que donne le baptême de l’élection populaire ; la nature même de son institution la réduit à un nombre fort limité ; si ce nombre n’est pas une véritable élite, que deviendra la puissance morale de l’assemblée du Luxembourg ? Dans la liste des nouveaux pairs figurent à juste titre deux des membres les plus recommandables de l’Institut ; mais pourquoi donc y avons-nous inutilement cherché le nom d’un académicien célèbre, digne depuis longtemps de cette distinction ? Si MM. Flourens et Poinsot représentent avec honneur les sciences naturelles et mathématiques, M. Letronne est à la tête de l’érudition française. L’antiquité n’a pas parmi nous d’interprète plus pénétrant, plus docte et plus ingénieux. Il est singulier que nous soyons ici obligés de rappeler au gouvernement tous les titres du savant administrateur du Collège de France.

Si de la dernière création de pairs nous passons aux nominations faites récemment dans les diverses branches de l’administration publique, nous trouvons que la part octroyée aux considérations particulières et aux intérêts électoraux est beaucoup trop considérable. Il est vrai qu’on avait à solder un grand arriéré tant de promesses avaient été répandues ! Il n’a pas été fort habile d’attendre jusqu’au dernier moment pour s’acquitter de ces dettes anciennes ; en laissant ainsi les choses s’accumuler, on a surpris l’opinion d’une manière fâcheuse. Et cependant, même avec cette profusion, que de gens désappointés ! Combien de candidats, partis pour leurs départemens avec les plus belles assurances, accusent à leur égard le silence du Moniteur !

Il est quelque chose de plus sérieux que ces déceptions particulières, c’est l’impression produite par l’esprit général de toutes ces nominations, c’est la conviction qui s’accrédite de plus en plus que tous les titres, tous les services, y sont trop souvent sacrifiés au but unique que poursuit le gouvernement de s’assurer une grosse majorité. Jusqu’à présent, l’administration française a été pour les autres peuples un objet d’admiration et d’envie : les traditions excellentes ont pu se perpétuer, parce que, même en faisant la part du favoritisme, on consultait cependant, pour le choix et l’avancement des personnes, le mérite et les droits acquis. Le gouvernement représentatif serait-il destiné à compromettre, à ruiner notre organisation administrative par l’invasion sans limites de la brigue et de la faveur ? Il y a là un péril redoutable, sur lequel on ne saurait trop éveiller la sollicitude publique.

Depuis un mois, il s’est manifesté progressivement dans l’opinion certaines