Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/577

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune fille a battu plus fort quand le cheval de Reginald s’est arrêté devant le perron. Il sait qu’elle a tiré l’aiguille, à partir de ce moment, deux fois plus vite que d’ordinaire ; il a vu comment elle s’est levée, les yeux baissés, et comment tout aussitôt elle est retombée sur son siége. Furtifs symptômes, imperceptibles trahisons, que Reginald lui-même n’a pas remarqués, mais qu’Edmond enregistre amèrement !

Après tout, de quoi se plaindrait-il ? Reginald n’a pas encore parlé. Il attend, dévoré d’impatience, la décision d’Edmond. Et comment reprocher à Clarisse un bonheur involontaire, une émotion dont à peine elle se doute ? Ni l’un ni l’autre ne l’a volontairement blessé ; ni l’un ni l’autre n’a oublié ou renié ses devoirs envers Edmond. Clarisse l’a traité en frère, Reginald en ami. – L’épreuve est faite ; il serait cruel pour tous trois de la prolonger encore. Soyons dignes de ceux que j’aime ! — Edmond Lovel dit ainsi un dernier adieu à ses espérances, plus calme, plus heureux après cette violente résolution qu’il ne l’aurait cru possible

Un de nos poètes n’a-t-il pas soupiré les mêmes plaintes, exprimé le même sentiment de résignation attendrie et presque « friande » comme la mélancolie de Montaigne ? Le dernier vœu de Joseph Delorme est aussi celui d’Edmond. Lovel.

Non, c’en est fait, jamais, ni son regard timide
Où de l’astre d’amour brille un rayon humide,
Ni son chaste entretien,
Propos doux comme une onde, ardens comme une flamme,
Sermens, soupirs, baisers ; son beau corps, sa belle ame ;
Non, non, je ne veux rien

Confiez vos soupirs aux forêts murmurantes,
Et, la main dans la main, avec des voix mourantes,
Parlez long-temps d’amour ;
Que d’ineffables mots, mille ardeurs empressées,
Mille refus charmans gravent, dans vos pensées
L’aveu du premier jour.


Mais ce que le poète entrevoit dans un drame confus dont l’héroïne lui est inconnue, Edmond l’a chaque jour sous les yeux. Il ressent ces douleurs de détail. plus poignantes que la pensée ne sait les faire d’avance, et plus inattendues, et qui mettent la patience à de plus rudes épreuves. Pardonnez-lui donc s’il oublie une fois encore ses magnanimes déterminations, et ne l’en aimez pas moins pour cela, car il n’en est que mieux votre égal, votre pareil, votre frère. Non, Clarisse