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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/582

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portrait calomniateur de ces républicains dont les noms retrouvent à grand peine dans les procès intentés alors aux fauteurs d’émeutes, les Hardy, les Margerott, les Skirving et tant d’autres. Perrott a contre Reginald cette rancune naturelle de la laideur austère, de l’hypocrisie solennelle, contre ce qui est beau, généreux, loyal, aimé, spirituel ? D’ailleurs, s’il brouillait le père et le fils, est-ce uniquement à la cause révolutionnaire que profiterait l’isolement du premier, l’héritage enlevé au second ? Perrott compte bien se faire une part dans de si opimes dépouilles.

Cet artisan de malheur en arrive à ses fins. Un jour où l’orage grondait, où De Vere revenait vaincu et colère des élections du district, où l’heure du dîner avait été retardée par l’inexactitude d’Hoggins où celui-ci, gêné dans ses habitudes ; acceptait à contre-cœur l’invitation de son fier voisin, la discussion naît, sans qu’on ait aperçu la main qui a jeté la pomme de discorde ; elle s’aigrit, s’envenime, éclate ; l’union abhorrée, les concessions à contre-cœur, font place a l’élan impétueux de l’inimitié satisfaite, et Reginald, éperdu, voit crouler en quelques minutes son laborieux édifice.

Qui le relèvera désormais ? Qui ? Lui seu1, car maintenant rien ne lui semble impossible, si ce n’est de vivre séparé de Clarisse. – Fermez, De Vere, fermez devant ce jeune homme indomptable, obstiné, calme sous l’orage, les portes de votre maison ; mais alors prenez garde aux longues nuits d’été, car les murs du parc sont de faibles barrières, et Clarisse, qui ne comprend rien aux préjugés dont elle est victime, pourra bien, touchée de tant d’amour, d’une si ferme et si constante passion, ne pas résister au signal donné par l’époux qu’elle s’était choisi. Et vainement Higgins, dont l’humiliation récente a réveillé les instincts patriotiques, impose-t-il à Reginald la dure nécessité d’opter entre sa tendresse filiale et son amour qu’on repousse. Il est trop tard pour que l’amant de Clarisse tienne compte ou de ces devoirs filiaux que lui impose un caprice peu digne de respect, ou de ses intérêts si gravement compromis s’il s’aliène ainsi le bon vouloir paternel. Plutôt que de renoncer à Clarisse, — à cette Clarisse qu’on lui refuse, et qui refuse elle-même, la digne et honnête enfant, de le suivre sans l’aveu de sa famille, — plutôt que d’y renoncer, il perdrait sans sourciller vingt domaines comme Mount-Sorel.

Malheureux Mount-Sorel ! jamais ses destins n’ont été plus menaçans, car maintenant Higgins, blessé au cœur, furieux de se voir abandonné par Reginald, altéré de vengeance, et sachant trop bien où De Vere est vulnérable, Higgins a résolu de dépecer ignominieusement le domaine héréditaire. Sous le marteau de l’enchère, il brisera le cœur de son ennemi. L’extrême division des lots doit porter le prix le cette vaste