Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/624

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Est-ce à dire qu’il ne faut rien tenter ? Loin de là. Nous croyons qu’il y a en France, pour les partisans éclairés de la liberté du commerce, une belle tâche à remplir : c’est celle de préparer la voie à l’établissement futur de ce régime nouveau. Nous n’appartenons pas, il s’en faut de beaucoup à cette école éclectique ou mixte, qui, prétendant faire la part des deux systèmes, admet les restrictions pour le présent, la liberté pour l’avenir : école bâtarde, qui déguise mal, sous une apparence de conciliation et de sagesse, le vide réel de ses doctrines. Nous croyons au contraire, que la liberté est toujours bonne, qu’elle est toujours applicable, qu’elle est seule féconde dans tous les pays, dans tous les temps ; mais nous pensons aussi qu’il n’est pas toujours également facile de faire adopter par ceux qu’elles intéressent le plus ces vérités salutaires, et, s’il faut le dire, l’opinion publique en France nous y paraît aujourd’hui particulièrement rebelle. L’exemple même de la révolution qui s’accomplit en ce moment en Ang1eterre ébranlera les esprits en France sans les convaincre, parce que les situations diffèrent : non que la liberté ne soit également désirable pour les deux peuples, mais parce qu’ils ne sont pas placés au même point de vue pour en comprendre le bienfait. Si la ligue anglaise a obtenu dans ses prédications ce succès prodigieux qui fait l’étonnement et l’admiration de toute l’Europe, elle ne l’a pas dû seulement, croyez-le bien, au zèle, au talent et au courage, d’ailleurs si dignes d’éloges, de ses orateurs et de ses chefs ; elle l’a dû encore à ce qu’une série de réformes antérieures avait préparé l’Angleterre à cette heureuse rénovation. Pour arriver au même résultat, nous craignons bien que la France ne soit forcée de passer lentement par des épreuves semblables.

Il y a des gens qui disent : Attendez, pour proclamer le principe de la liberté du commerce, que le pays soit mûr pour cela, que l’industrie française soit assez forte pour braver la concurrence étrangère. Le malheur est que, sous le régime actuel, cette maturité qu’on attend n’arrivera pas ; et ne suffit-il pas de considérer le passé pour s’en convaincre ? Jamais l’industrie française, tant qu’elle opérera dans son milieu actuel, ne se montrera l’égale de l’industrie étrangère, parce que le régime qu’on lui impose fait obstacle à ses progrès. Changer les conditions au milieu desquelles cette industrie s’exerce, afin de lui permettre au moins de s’émanciper plus tard, tel est précisément à défaut d’une liberté immédiate, le but qui s’offre à nous, et c’est peut-être l’unique résultat auquel on peut actuellement prétendre.

Qu’est-ce pourtant que la liberté du commerce ? Bien des gens disent que c’est une utopie, et ce n’est pas même un système. Au point de vue de la société en général, la liberté du commerce n’est que le mouvement naturel, le cours régulier des transactions ; c’est l’absence de réglemens arbitraires, de mesures violentes, de restrictions injustes. Au point