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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/645

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conditions les matières accessoires, les machines et le reste. C’est ce que M. Andrew Ure reconnaît lui-même ailleurs, quand il dit : « La modération dans les prix des matières premières est, à mon avis, la seul chose qui manque à la France pour la prospérité de ses tissus de laine longue. »

La plus belle industrie manufacturière que la France possède est celle des soieries ; il faut voir quelle est, sous le régime actuel, sa condition. Elle trouve ses matières premières en abondance sur notre sol, ce qui devrait lui assurer un avantage relatif sur ses rivales ; au lieu de cela, elle les paie plus cher, parce que le système restrictif en exhausse les prix. « Les prix des meilleures soies françaises, dit le docteur Ure, sont ordinairement de 10 pour 100 au-dessus de ceux des soies italiennes de la même qualité. » Si l’industrie des soieries prend ses matières premières au dehors, ce qui est souvent nécessaire, moins heureuse en cela que l’industrie des lainages, elle acquitte un droit d’importation qu’on ne lui restitue pas à la sortie des marchandises ouvrées. Pourquoi cette différence ? C’est encore une de ces inconséquences que l’on rencontre à chaque pas dans nos tarifs. Pour ce qui regarde les instrumens de travail, cette industrie est à peu près sur le même pied que les autres, c’est-à-dire qu’elle les paie fort au-dessus de leur valeur. Malgré tant de charges, elle n’en exporte pas moins une valeur annuelle de près de 150 millions[1]. En présence de ce fait, osera-t-on dire qu’elle est inférieure à aucune autre ? N’est-ce pas là, au contraire, une preuve frappante de sa supériorité ? A bien des égards en effet, cette supériorité n’est pas douteuse, et l’on peut dire sans hésiter que, pour la perfection du travail, l’industrie française des soieries n’a pas de rivale dans le monde. Elle a beau faire cependant : pour les étoffes unies, ou la cherté de la matière première et l’élévation relative de tous les frais de production ne peuvent être balancées par aucun autre avantage, elle est vaincue et elle doit l’être ; il n’y a pas de supériorité qui tienne contre de semblables conditions. Aussi cette grande industrie, une des merveilles de la France, et qui pourrait en être une des principales richesses, que tant d’hommes de génie et tant d’habiles artiste ont concouru à élever, qui s’est perfectionnée depuis deux siècles aux mains d’une population intelligente dans laquelle le sentiment de l’art est traditionnel, cette grande industrie se traîne, frappée au cœur par un régime désastreux. L’industrie étrangère lui enlève successivement tous ses débouchés. « A Zurich, où la soie torse est importée sans droit, dit encore le docteur Ure, il n’y avait, en 1792, que mille métiers à tisser ; à présent (1836) il y en a douze mille. » Un progrès semblable s’est manifesté en

  1. 144 millions en 1844. Cette même exportation s’était élevée à 162 millions en 1841. Elle était déjà de 160 millions en 1833.