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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/658

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sauvages comme la nature qui les entoure, tous ces incidens si étranges et si variés sont pour le voyageur autant de compensations qui lui font oublier ses fatigues. C’est aussi ce charme de l’imprévu qui peut obtenir grâce pour les développemens donnés au récit d’une excursion dans ces mystérieuses solitudes. Ici, plus qu’ailleurs, les détails ont leur prix, et les plus légères circonstances méritent d’être notées comme autant de révélations piquantes sur un monde tout différent du nôtre.

Je devais faire route jusqu’à Arispe avec le sénateur don Urbano. que des affaires d’urgence appelaient dans cette ville. Sa belle-sœur et sa femme étaient de la partie, et nous ne devions voyager qu’à petites journées. Au jour fixé, je montai à cheval pour me rendre à la maison du sénateur. Il était à peine trois heures quand je traversai les rues silencieuses d’Hermosillo. La nuit avait été étouffante, et, selon l’usage de ces pays primitifs, tous les habitans des maisons privées de cours avaient transporté leurs lits dans les rues. Certes, si l’obscurité eût été moins profonde, c’eût été un singulier spectacle que celui de ces dormeurs de tout âge et de tout sexe, les uns réunis, les autres isolés, mais tous dans un costume de nuit approprié à la chaleur du climat. Ce ne fut qu’avec des précautions infinies que j’arrivai chez le sénateur sans avoir écrasé personne. Une trentaine de chevaux, groupés autour d’une jument qui portait une clochette attachée au poitrail, piaffaient en hennissant devant la porte. Cinq ou six domestiques achevaient, en jurant, de charger autant de mules ; un autre tenait en bride trois beaux chevaux, dont deux harnachés de selles de femmes. Enfin, au moment où j’arrivais, la porte cochère s’ouvrit, et deux autres serviteurs sortirent à cheval, tenant chacun à la main un morceau de bois de sapin enflammé en guise de torche. A la lueur que projetaient ces flambeaux improvisés, je vis don Urbano s’avancer vers moi.

— Nous allons donc voyager en caravane ? lui demandai-je en lui montrant l’escadron de chevaux qui obstruaient la rue.

— Nullement, me dit-il ; ce sont les relais que j’envoie en avant, car nous avons vingt-cinq lieues à faire par jour.

— C’est ce que vous appelez voyager à petites journées ?

— Oui, certes, et, qui plus est, je n’en agis ainsi que pour ces dames, qui ne sont pas accoutumées aux longues traites.

Presque en même temps don Urbano donna l’ordre du départ. Alors chevaux, mules et domestiques, tous partirent au galop en faisant retentir les rues du bruit de leur course, à la grande confusion des dormeurs. Puis, quand le tumulte eut cessé, nous partîmes nous-mêmes précédés par les porteurs de torches, qui s’élancèrent devant nous en secouant la flamme du sapin et en semant l’obscurité de mille étincelles.

A six lieues de là, nous rejoignîmes la caponera (c’est ainsi qu’on