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jour naissant éclaira deux cadavres baignés dans leur sang. À côté de celui de notre père, des grains d’or brillaient au soleil, au milieu d’une mare rouge. Je n’ai pas besoin devons dire, seigneur cavalier, que sur cet or, lavé par le sang paternel, nul de nous n’osa mettre la main. Nous tînmes conseil, mais désormais notre course était sans but ; nous avions tué l’homme qui seul pouvait nous diriger dans nos recherches, et nous revînmes sur nos pas, laissant blanchir sur le sable le cadavre de l’assassin. Voilà pourquoi, seigneur cavalier, je me suis dégoûté à jamais du métier de chercheur d’or.

— Et vos frères ? demandai-je à Anastasio quand il eut terminé cette triste histoire.

— L’aîné a renoncé, comme moi, au gambuseo ; mais Pedro, le second, a continué son premier métier, et j’ai ouï dire qu’il était à Bacuache, où nous le trouverons sans doute.

Le lendemain matin, une brume épaisse flottait sur la cime des arbres et se résolvait en une abondante rosée ; la lune argentait encore les détours sinueux de l’Uris, quand nous nous remîmes en route. Après quelques heures de marche, nous quittâmes le lit de l’Uris pour entrer dans celui de la rivière de Bacuache. Nous avions traversé tant de fois l’eau qui serpentait dans ces ravins, que la corne amollie de nos chevaux, qui, selon l’usage du pays, n’étaient pas ferrés, s’était usée sur les graviers. Aussi n’avancions-nous plus que lentement, et, quand la nuit vint nous surprendre, bien que nous n’eussions fait qu’une halte d’une heure, vers le milieu de la journée nous étions encore à une assez grande distance du petit village de Fronteras. Le paysage commençait à prendre une teinte lugubre. La chaîne de montagnes que nous avions côtoyée à partir d’Hermosillo, au lieu d’un pittoresque amphithéâtre de forêts, ne présentait plus que des pics escarpés et arides. Sur ces pics, des vapeurs épaisses se balançaient au vent connue des draperies flottantes ; la végétation était aussi plus maigre sur les bords sablonneux de la rivière. De grandes trombes de sable fin tourbillonnaient tristement de distance en distance, et s’abattaient dans l’eau avec un pétillement semblable à celui de la pluie. Bientôt nous arrivâmes à un endroit où la route se resserrait entre deux talus rapides, formés, d’un côté, par les montagnes, et, de l’autre, par un mur de roches couronnées d’herbes sèches, de cactus épineux et d’aloès. Quelques chênes verts, des sapins, s’élevaient, parmi les buissons, de distance en distance, et, aux aisselles de leurs branches ou dans les crevasses de leur écorce, des peaux de serpens, dépouilles de ces reptiles pendant la mue, se tordaient hideusement sous la brise. L’eau ne murmurait plus, elle commençait à gronder ; en un mot, jamais plus mélancolique paysage ne s’était offert à mes yeux.

J’entendais depuis quelque temps sur le sommet du talus, à ma droite,