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de bois de fer, qui croissait en abondance autour de nous, servit de broche. J’étais, comme il est facile de le penser, peu disposé à faire honneur à sa cuisine ; cependant, si la peur est contagieuse, le courage l’est aussi, et l’attitude calme de ce domestique finit par me rendre mon assurance. Néanmoins je prêtais l’oreille avec anxiété à tous les bruits qui remplissent les bois vers le soir. Le murmure de l’eau qui frémissait contre les rochers éboulés, le craquement des buissons froissés par les longes de nos chevaux, le bourdonnement des nombreux maringoins que la nuit semblait amener avec ses premières vapeurs, le retentissement bruyant des arbres morts qui se tordaient sous la brise, mille voix qui m’auraient fait rêver dans toute autre circonstance, résonnaient alors comme des voix menaçantes. Au moment où notre rôti, auquel Anastasio semblait donner tous ses soins, exhalait déjà une odeur fort appétissante, ces bruits changèrent de nature ; nous prêtâmes l’oreille. Anastasio se pencha même pour écouter ; mais il reprit bientôt avec son indifférence habituelle : — Les blancs seuls marchent ainsi, quoique l’allure de ceux-ci ressemble un peu à celle des Indiens ; maintenant il n’y a plus à s’y tromper.

En effet, des voix ne tardèrent pas à se faire entendre, le bruit des pas se rapprocha, puis, à la lueur du feu qui éclairait le dessous des feuilles sur le bord du talus, deux individus se montrèrent. C’était la nuit aux aventures imprévues, et les deux nouveaux venus figuraient à merveille dans l’espèce de drame improvisé dont cette journée de voyage semblait former le prologue. Le premier était un homme de haute taille, la figure couverte d’une épaisse barbe blonde tirant sur le roux. Un bonnet en cône tronqué fait évidemment de la peau de quelque animal, mais qui ne conservait que quelques poils disséminés, couvrait une rude chevelure de la couleur de la barbe. Une veste en gros drap gris, à basques carrées et à larges poches, horriblement rapetassée, des espèces de braies en peau de daim tannée, maintenues autour des jambes par des courroies de cuir, composaient le reste de son vêtement. Des lanières de peau, passées à droite et à gauche sur sa poitrine, soutenaient une vaste gibecière en cuir, qui pendait sur l’estomac, et une corne à poudre. Un long rifle à canon de cuivre était jeté sur son épaule. Le costume de l’autre individu consistait en une veste de cuir d’un rouge de brique (gamuza), qu’on passe par le cou comme une chemise, ornée dans tous les sens de boutons de métal blanc, et en un pantalon de cuir aussi, jadis rehaussé d’agrémens d’argent. Il était également armé d’une carabine, mais la sienne était à canon bleu de fabrique liégeoise. En outre, il portait sur le dos, au lieu.de sac de voyage, une lourde selle mexicaine.

Arrivés au bord du talus qui dominait l’endroit où nous étions assis, les deux inconnus restèrent un instant immobiles.