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mes affaires prospéraient. Puis, je m’associai avec ce seigneur canadien, et je laissai de côté les bêtes que j’avais chassées jusqu’alors pour entreprendre avec lui l’exploitation des loutres et des castors. Or, un jour que j’étais seul à l’affût de ces innocens animaux, j’aperçus les ramures d’une magnifique paire de cerfs qui venaient se désaltérer à un ruisseau sous un fourré assez épais. Mes premières chasses me revinrent en mémoire, et j’éprouvai un vif désir de tuer ces deux cerfs. Comme vous pensez, ce n’était pas aisé, mais j’espérai qu’en priant Dieu j’en viendrais peut-être à bout. Je fis donc vœu mentalement que, si je les abattais d’un coup, la peau de l’un serait pour moi, l’autre pour la rédemption de quelques âmes du purgatoire ; je glissai en même temps deux balles de plus dans ma carabine, et je fis feu.

— Et vous les manquâtes tous les deux ? lui dis-je.

— Oh ! que non ! Seulement, quand le nuage de fumée se fut dissipé, j’eus la douleur de voir que mon cerf seul était resté sur le terrain, mais que celui des âmes du purgatoire courait comme un démon.

— Pour un dévot aux ames du purgatoire, c’était cependant un cas de conscience facile à résoudre, lui dis-je en m’efforçant de garder mon sérieux.

— Si j’avais eu moins de dévotion pour ces saintes âmes, je n’aurais pas éprouvé une douleur si vive de voir leur messe s’enfuir à toutes jambes ; ce n’est que depuis le vol de mon cheval que j’ai pensé qu’en bonne conscience j’aurais dû partager avec elles la moitié de la peau de mon cerf ; mais, ajouta le chasseur (et son regard devint menaçant), j’ai fait un autre vœu, et celui-là, je le tiendrai. Depuis quatorze jours et quatorze nuits nous sommes sur la trace de ces démons d’Apaches. Eh bien ! ce vœu, je le renouvelle ici !

Le chasseur se dressa sur ses pieds, étendit la main vers le ciel, et, les yeux étincelans, les narines gonflées, il s’écria d’une voix que les échos répétèrent après lui comme pour prendre acte de ses sermens :

— Je fais vœu d’attaquer, accompagné ou seul, ces chiens partout où je les rencontrerai, de les poursuivre, s’il le faut, jusqu’à leur village. Je fais vœu de porter sur mes épaules cette selle, qui était celle du pauvre animal qu’ils m’ont volé, et de ne la déposer que quand je l’aurai mise sur le dos d’un de ces démons ! Je fais vœu de vendre comme esclaves leurs enfans maudits, et de consacrer cette fois le produit de cette vente aux âmes du purgatoire. Puissent-elles me venir en aide !

— Et vous, demandai-je au Canadien, avez-vous fait un semblable vœu ?

— Moi, répondit-il simplement, j’ai promis à mon associé de le suivre partout où il irait et de faire ce qu’il ferait.