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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/698

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à des doctrines plus positives et plus mâles, qui protègent plus sûrement l’indépendance de l’homme et du citoyen. Les instincts ne sont pas des institutions, et les grandes sociétés ne vivent que sur des garantie : elles savent bien qu’il n’est pas de maître absolu qui ne veuille se donner pour un maître paternel, comme il n’y a jamais eu de maître paternel qui ne devînt pas un maître absolu.

S’il fallait prouver combien cet enseignement de la poésie contemporaine a pu réagir sur la Pologne, nous aurions trop vite raison en montrant ce qu’il a produit sur ceux qui le recevaient de plus près. Il y a quelques années, l’homme qui représentait le mieux ces tendances de toute une génération, entreprit de conduire ses compatriotes à la délivrance par l’action mystique de l’esprit et de la parole. Quel enthousiasme accueillit la mission céleste que se donnait Towianski, on ne l’exprimera jamais ; l’apôtre lithuanien se disait, se croyait très réellement inspiré ; il avait le don magnétique de fascination ; il fut proclamé seigneur et maître, il eut des sujets qui se dévouèrent à lui corps et ame, corps et biens. L’amour seul, un pur amour de frères dirigea d’abord cette association, qui se promettait de conquérir la France et l’Italie pour les employer l’une et l’autre à la conquête de la Pologne. Et qu’est-il arrivé de ces promesses magnifiques ? Le gouvernement de l’inspiration n’est pas toujours celui de l’intelligence. La béatitude n’a duré qu’autant qu’on n’est pas sorti de l’extase. Aussitôt le pied mis sur la réalité, tout s’est divisé, tout est tombé, tout est devenu Babel. Nous citons ici la confession d’un membre repentant et clairvoyant de cette conjuration impossible. Il semble que ce soit l’histoire intime de ces pauvres gentilshommes de Pologne, qui, lassés et brisés, se donnent à présent au tzar. « Les esprits se sont refroidis ; on a cherché des inspirations artificielles, on n’a pu atteindre le degré d’amour qu’il fallait pour agir ; c’es alors qu’incapables de vous entendre et d’avancer dans un sentier sans but et sans issue, vous êtes tombés jusqu’au grand monarque Nicolas, le jour même de l’anniversaire de notre révolution, comme pour railler le sang versé de notre pauvre patrie. » Ecrites seulement l’année dernière, ces vives paroles ne s’adressent-elles pas aux russomanes de Posen ? A la place d’un Bonaparte en linceul, encore pâle des rêveries du tombeau, ils veulent maintenant un Bonaparte à cheval et le sabre au poing : c’est là toute la différence et tout le progrès.

Du reste, en expliquant cette sourde influence des idées qui ont préparé le mouvement actuel de la Pologne, nous ne hasardons point de suppositions gratuites ; nous les retrouvons toutes en substance dans un récent pamphlet, œuvre très instructive et très remarquable, soit de la propagande russe, soit du désespoir Polonais : nous voulons parler d’une Lettre adressée par un gentilhomme de Gallicie au prince de Metternich,