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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/834

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Nous savons gré toutefois à M. List de nous avoir fourni l’occasion de placer ici une observation importante que nous tenions à faire. C’est qu’il n’y a pas un peuple en Europe qui sache tout ce que son agriculture peut rendre, parce qu’il n’y en a pas un seul qui ne se soit plu à l’étouffer, ceux-ci en la détournant de ses voies naturelles, ceux-là en la dépouillant au profit des manufactures à naître, de son droit de vente au dehors ; plusieurs en lui attribuait au contraire des monopoles qui ne lui sont pas moins funestes que la privation de ses droits ; quelques autres en l’écrasant d’impôts mal assis ; tous, enfin, en l’appauvrissant, en la desséchant, pour faire affluer artificiellement vers les manufactures les forces disponibles du pays, sans parler des états où l’on retient encore en servitude les hommes utiles qui l’exercent. Du système général qui prévaut depuis long-temps en Europe, il résulte que les manufactures y ont reçu presque partout un développement exagéré ; qu’une concurrence active, ardente, acharnée, s’est portée de toutes parts dans cette voie unique dont elle a épuisé les canaux en y amoindrissant tous les profits, tandis que l’agriculture, cette source féconde de biens, est comparativement délaissée. Et ce n’est pas, selon nous, une des moindres causes de cette souffrance générale, de ce paupérisme croissant, qui après trente années d’une paix profonde au sein d’un état social d’ailleurs prospère, travaille sourdement l’Europe et l’envahit. Il ne s’agit pas ici de renouveler contre les manufactures ces accusations banales et ridicules dont elles ont été si souvent l’objet. En lui-même le développement des manufactures est salutaire et bon ; ce qui est un mal, c’est cette excitation factice au moyen de laquelle on pousse, s’il est permis de le dire, les populations haletantes dans cette voie unique, trop étroite pour leur donner à toutes un suffisant abri.


III.

L’histoire comparée de la Franc et de l’Angleterre jetterait un grand jour sur la question qui nous occupe, si on pouvait la suivre dans ses diverses phases. On y remarquerait tour à tour toutes les conséquences des régimes les plus divers. Ces deux pays n’ont pas toujours eu, en matière de douanes, la même politique qu’aujourd’hui, et, selon les différentes combinaisons qu’ils ont adoptées dans leurs tarifs, leur position relative a changé. Sans entrer, dans le détail de ces variations, rappelons du moins les plus graves.

Sous l’ancien régime, et pendant tout le cours du XVIIIe siècle, la politique de la France consista à frapper de droits protecteurs les seuls produits manufacturés en laissant au contraire toute liberté d’importation pour les denrées alimentaires et les matières brutes. Tel était le