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l’évènement nous démente, qu’amis et ennemis de la liberté du commerce y seront également trompés. L’avenir confondra les sinistres prédictions des uns et surpassera les espérances des autres. Pour l’agriculture, on est à peu près généralement convenu des deux côtés qu’elle restreindra sa production sous l’influence de la concurrence étrangère, résultat dont les uns s’épouvantent, que les autres acceptent, parce qu’après tout, comme ils le disent ave raison, le premier besoin, la première loi, c’est que le peuple soit nourri et qu’il le soit à bon marché. Nous disons, nous, que la production agricole s’étendra, sinon dans les années de transition, au moins plus tard, quand elle aura repris son assiette. L’agriculture anglaise pourvoira sans peine à tous les besoins du peuple anglais, et elle le fera d’ailleurs au même prix que l’étranger. Des importations auront lieu sans doute, sinon plus abondantes, au moins plus régulières qu’autrefois ; mais l’exportation aura son tour, et l’on verra cette Angleterre, toujours si besoigneuse depuis trente ans, étonner de nouveau le monde par l’abondance de ses récoltes.

Pour l’industrie manufacturière, on croit qu’elle recevra de cette réforme une impulsion nouvelle au dehors, et qu’elle achèvera d’écraser, comme on dit, les industries du continent. Certes, elle y gagnera en prospérité et surtout en sécurité, en bien-être, mais nous croyons que cette surexcitation fiévreuse, qui l’anime depuis un demi-siècle, se calmera. Elle se débarrassera d’abord d’un certain nombre de branches parasites qui la surchargent, et qui émigreront, selon toute apparence, à l’étranger. Pour les autres branches, elles acquerront, sans nul doute, une vigueur nouvelle ; cependant c’est surtout à l’intérieur du pays qu’elles verront leurs débouchés grandir, et nous ne serions pas étonné si durant quelques années, l’exportation anglaise en produits manufacturés diminuait. L’industrie manufacturière anglaise pourra bien être encore l’admiration de l’Europe, elle n’en sera plus l’effroi.

C’est, du reste, la classe ouvrière, celle des campagnes autant que celle des villes, qui ressentira le plus la bienfaisante influence du nouveau régime. À moins qu’il ne survienne des crises ou des perturbations fâcheuses dues à d’autres causes, les salaires ne baisseront pas ; loin de là, ils tendront plutôt à s’élever. Et comme, d’un autre côté, les denrées alimentaires seront à plus bas prix et le travail plus abondant, l’existence de cette classe sera désormais aussi facile et aussi douce quelle a été précédemment douloureuse et pénible. Il ne faut pas demander cependant qu’un tel changement s’opère en un jour. C’est bien le moins qu’on laisse au nouvel ordre de choses le temps de porter ses fruits.

Rappelons maintenant, pour conclure, les vérités générales qui ressortent de tout ce qui précède. Toutes les lois restrictives ont des conséquences