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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/91

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citoyens. Dans les états les plus infidèles à leur origine, il restait encore la croyance à un dieu extérieur, agissant immédiatement dans le monde, et manifestant ses volontés par des oracles, et, au dire d’Hérodote, leur refuser sa confiance n’était pas seulement une impiété, mais un délit véritable, une violation de la loi. Le principe contraire, la reconnaissance de la valeur personnelle et des droits de chaque citoyen, pénétra de bonne heure dans la république d’Athènes, et les restrictions qui le comprimaient disparurent dans le mouvement ascendant de la démocratie. Les citoyens relégués dans la quatrième classe furent investis des mêmes droits électoraux que les autres ; sur la proposition d’Aristide, ils purent prétendre également à toutes les charges publiques, et, sans doute à l’instigation de Périclès, Ephialtès fit abaisser l’autorité de l’aréopage, dont, par un dernier privilège désormais illusoire, l’aristocratie s’était réservé tous les sièges. L’égalité devint alors complète, riches ou pauvres, intelligens ou stupides, tous les citoyens eurent la même valeur politique. Jamais peut-être la souveraineté du peuple ne fonctionna d’une manière plus radicale. Il fut impossible au plus humble de s’annuler devant l’autorité prétendue d’un état dont il faisait et défaisait capricieusement les lois organiques ; les sollicitations obséquieuses des magistrats ne lui permirent, plus de douter de son importance. Chacun voulut avoir des dieux reconnus, par sa conscience, qui ne fussent pas seulement dans l’Olympe.public, et s’en créa pour son usage qu’il dota d’attributs selon son bon plaisir. A la vérité, la religion de l’état, servait encore de fonds commun à toutes les croyances individuelles, mais ce droit de s’arranger un dogme à sa guise la rendait par le fait une hypothèse politique, aussi peu respectée que les autres vérités légales écrites dans la constitution. L’état n’intervenait officiellement que pour réprimer les impiétés encore plus politiques que religieuses, lorsque Alcibiade mutilait les statues de Mercure qui veillaient à la sécurité de la voie publique, ou qu’un philosophe imprudent, Stilpon, soutenait que la Minerve du Parthénon, la protectrice d’Athènes, n’était pas réellement la déesse Minerve, mais une statue d’ivoire créée par Phidias.

Ce développement excessif du droit individuel réagit bientôt à son tour sur la mobilité de la législation. Chaque citoyen se complut à faire acte de souveraineté en proposant des lois nouvelles, ou en provoquant l’abrogation de celles qu’il n’avait pas votées. Devenue odieuse à tous les partis comme l’usurpation d’un ennemi, l’autorité de l’état fut surveillée avec inquiétude ; des restrictions jalouses la limitèrent, d’ingénieuses précautions l’amoindrirent, et les intérêts matériels eux-mêmes exigeaient qu’on la rendît plus énergique et plus indépendante. Il fallait à l’agriculture de la prudence dans la conduite des affaires et le monopole des marchés ; a l’industrie, de l’économie dans les dépenses publiques