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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/940

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connue pour être ici longuement décrite. C’est un immense bassin de marbre blanc, entouré de galeries soutenues par des colonnes d’un goût bizantin, avec une haute fontaine dans le milieu, d’où l’eau s’échappe par des gueules de crocodiles. Toute l’enceinte est éclairée au gaz, et dans les nuits d’été le pacha se fait promener sur le bassin dans une cange dorée dont les femmes de son harem agitent les rames. Ces belles dames s’y baignent aussi sous les yeux de leur maître mais avec des peignoirs en crête de soie, — le Coran ; comme nous savons, ne permettant pas les nudités.


X. – LES AFRITES

Il ne m’a pas semblé indifférent d’étudier dans une seule femme d’Orient le caractère probable de beaucoup d’autres, mais je craindrais d’attacher trop d’importance à des minuties. Cependant qu’on imagine ma surprise lorsqu’en entrant un matin dans la chambre de l’esclave, je trouvai une guirlande d’oignons suspendue en travers de la porte, et d’autres oignons disposés avec symétrie au-dessus de la place où elle dormait. Croyant que c’était un simple enfantillage, je détachai ces ornemens peu propres à parer la chambre, et je les envoyai négligemment dans la cour ; — mais voilà l’esclave qui se lève furieuse et désolée, s’en va ramasser les oignons en pleurant et les remet à leur place avec de grands signes d’adoration. Il fallut, pour s’expliquer, attendre l’arrivée de Mansour. Provisoirement je recevais un déluge d’imprécations dont la plus claire était le mot pharaôn ! je ne savais trop si je devais me fâcher ou la plaindre. Enfin Mansour arriva, et j’appris que j’avais renversé un sort, que j’étais cause des malheurs les plus terribles qui fondraient sur elle et sur moi. — Après tout, dis-je à Mansour, nous sommes dans un pays où les oignons ont été des dieux ; si je les ai offensés, je ne demande pas mieux que de le reconnaître. Il doit y avoir quelque moyen d’apaiser le ressentiment d’un oignon d’Égypte ! Mais l’esclave ne voulait rien entendre et répétait en se tournant vers moi : Pharaôn ! Mansour m’apprit que cela voulait dire « un être impie et tyrannique » ; je fut affecté de ce reproche, mais bien aise d’apprendre que le nom des anciens rois de ce pays était devenu une injure. Il n’y avait pas de quoi s’en fâcher pourtant ; — on m’apprit que cette cérémonie des oignons était générale dans les maisons du Caire à un certain jour de l’année ; cela sert à conjurer les maladies épidémiques.

Les craintes de la pauvre fille se vérifièrent, en raison probablement de son imagination frappée. Elle tomba malade assez gravement, et, quoi que je pusse faire, elle ne voulut suivre aucune prescription de médecin. Pendant mon absence, elle avait appelé deux femmes de la maison voisine en leur parlant d’une terrasse à l’autre, et je les trouvai installées près d’elle qui récitaient des prières, et faisaient, comme me