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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/979

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propos pour flatter et désarmer l’excitation des états du nord. Le haut rang de cet ambassadeur et ses relations avec les hommes influens du congrès prévinrent une rupture qu’on pouvait croire imminente. Si elle eût éclaté, l’invasion du New-Brunswick par les Américains devait-elle rencontrer un obstacle sérieux ? L’île de Cap-Breton, dont on ne tenait aucun compte avant que les loyalistes américains, chassés des états, y eussent cherché refuge, ne sera jamais qu’une très médiocre et très dangereuse station. Les flots de l’Atlantique ont brisé des vaisseaux sans nombre contre les récifs dont elle est entourée; on évalue à cent mille tonnes de marchandises et à deux mille matelots les pertes que, depuis trente ans, elle a fait subir au commerce de la métropole. En échange, elle ne saurait offrir, en supposant une exploitation complète dont les difficultés sont innombrables, que du charbon de terre, du gypse, du sel pour l’usage des pêcheries voisines, et quelques métaux recelés sous les rochers dont elle est hérissée. Trente-six mille habitans y occupent un territoire de deux millions d’acres, généralement infertile, si ce n’est au bord des lacs et des rivières. L’île étroite et longue qu’on appelait jadis l’île Saint-Jean, et qu’on a débaptisée pour flatter la vanité de feu le duc de Kent, alors qu’il était gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, est de toutes ces possessions celle qui sourit le plus au voyageur. Son rivage, profondément dentelé, offre aux vaisseaux des havres sûrs et nombreux. Celui de Charlottetown (capitale de l’île) est excellent et bien défendu. Le climat est doux; on n’y subit ni les alternatives extrêmes de l’hiver et de l’été canadiens, ni l’influence malsaine des brumes qui couvrent fréquemment la Nouvelle-Ecosse et Cap-Breton. Le sol, partout facile à cultiver, offre d’abondantes ressources aux soixante mille bergers et laboureurs, — pour la plupart d’origine écossaise, — qui sont venus y chercher, non la richesse du spéculateur, mais l’abondance de la vie pastorale. Leur nombre actuel peut décupler avant que la terre (une surface de deux mille milles) fasse défaut à leurs efforts bénis du ciel.

Ainsi se présentent, dans un résumé rapide, les colonies secondaires dont il nous restait à parler. Encore une fois, guidée avant tout par son intérêt, et chaque jour moins disposée à des sacrifices inutiles, l’Angleterre ne les disputerait pas à l’Amérique le jour où celle-ci l’aurait chassée du Canada. Il y aurait aberration évidente à prendre les armes pour des intérêts si minimes et si précaires. Quand la Providence a parlé, quand elle a aussi nettement décrété l’affranchissement, ou, si l’on veut, la conquête d’un pays, il faudrait être insensé pour en appeler de ses arrêts souverains au dieu des batailles. Le bon sens politique de nos voisins nous garantit qu’ils ne se rendront jamais coupables d’une pareille folie.


E.-D. FORGUES.