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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1001

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Car elle aimait jadis le prophète. La Bible ne le dit pas, — mais le peuple a gardé la mémoire des sanglantes amours d’Hérodiade.

Autrement le désir de cette dame serait inexplicable. Une femme demanderait-elle jamais la tête d’un homme qu’elle n’aime pas ?

Elle était peut-être un peu fâchée contre son saint amant ; elle le fit décapiter ; — mais, lorsqu’elle vit sur ce plat cette tête si chère,

Elle se mit à pleurer, à se désespérer, et elle mourut dans cet accès de folie amoureuse. (Folie amoureuse ! quel pléonasme ! l’amour n’est-il pas une folie ?)

La nuit, elle sort de la tombe, et, en suivant la chasse maudite, elle porte, comme dit la tradition populaire, dans ses mains blanches le plat avec la tête sanglante ;

Mais, de temps en temps, par un étrange caprice de femme, elle lance la tête dans les airs en riant comme une enfant, et la reçoit adroitement comme si elle jouait à la balle.

Lorsqu’elle passa devant moi, elle me regarda, me fit un signe de tête si coquet et si languissant, que j’en fus troublé jusqu’au fond du cœur.

Trois fois la cavalcade passa au galop devant moi, et trois fois, en passant, le spectre adorable me salua.

La chasse s’évanouissait dans la nuit, le tumulte s’éteignait, que le gracieux salut me trottait encore dans la tête ;

Et, toute la nuit, je ne fis que retourner mes membres fatigués sur la paille (car il n’y avait pas de lit de plume dans la cabane d’Uraka la sorcière),

Et je me disais : — Que signifie donc ce signe de tête mystérieux ? Pourquoi m’as-tu regardé si tendrement, belle Hérodiade ?


XX.

Le soleil se lève et lance ses flèches d’or aux blanches nuées, qui se teignent de rouge comme si elles étaient blessées, et s’évanouissent après dans la lumière.

Enfin la lutte cesse, et le jour pose en triomphateur ses pieds rayonnans sur la nuque de la montagne.

La gent bruyante des oiseaux gazouille dans les nids cachés, et une odeur de plantes s’élève comme un concert de parfums.

Nous étions descendus dans la vallée aux premières heures du jour, et, pendant que Lascaro suivait la piste de son ours, je restais seul, las et triste.

Las et triste, je m’assis enfin sur un moelleux banc de mousse. C’était sous ce grand chêne, au bord d’une petite source, dont le murmure et le clapotement m’ensorcelèrent tellement, que j’en perdis presque la raison.

Je me pris d’un désir sauvage pour le monde des rêves, pour la mort