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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1046

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rang considérable aux descendans du comte helvétien. Cependant, fixés par la soudaine expansion de leur fortune à une grande distance de leurs montagnes natales, les nouveaux maîtres de Vienne ne furent bientôt plus considérés en Helvétie que comme des étrangers.

Au commencement du XIVe siècle éclata, dans les cantons forestiers, l’insurrection qui, en rendant le nom des Suisses familier à toutes les nations de l’Europe, est devenue pour elles, sous une forme légendaire, un précieux exemple. Trois peuplades de montagnards, paysans pauvres, mais libres au milieu du servage universel, se confédérant pour la défense de leurs privilèges et respectant, après la victoire, tous les droits légalement assis autour d’elles, formèrent le noyau des grandes ligues que l’hostilité persévérante des archiducs appela graduellement à l’existence.

L’accession de Lucerne à la confédération suisse (ainsi nommée parce que le pays de Schwytz en était alors le membre principal) introduisit une première et très essentielle modification dans les élémens de cette république : un municipe florissant, qui nourrissait des projets de conquête, vint se placer à la tête de pâtres héroïques et désintéressés. Lorsque, dix-neuf ans après, Zurich[1] fit à son tour partie des ligues, et que presque immédiatement ensuite[2] Glaris, Zug et Berne complétèrent le nombre des huit anciens cantons, toute une puissance de création récente se trouva formée dans le sein de l’empire, dont les Suisses ne songeaient point encore à décliner la suzeraineté. Les démocraties pastorales de Schwytz, Uri, Unterwalden, Zug et Glaris, laissèrent le premier rang aux trois cités : celles-ci, qui voyaient grandir dans leur enceinte une bourgeoisie martiale, disciplinée, mais avide autant qu’entreprenante, faisaient sous tous les prétextes une guerre sans relâche à la féodalité, dont le réseau, chaque jour détendu, persistait pourtant encore autour d’elles. Les familles comtales, enveloppées dans les revers de la maison d’Autriche, disparaissaient rapidement ; les dynasties d’un ordre inférieur et les simples possesseurs de fiefs militaires n’échappaient à la destruction qu’en s’agrégeant aux bourgeoisies victorieuses, et en renforçant l’infanterie des cités par des corps de cavaliers auxiliaires : à ce prix, on leur laissait quelques débris des anciennes juridictions seigneuriales. Quant aux serfs, l’établissement de la domination suisse était pour eux le signal d’un affranchissement immédiat ; souvent même l’approche des confédérés déterminait parmi les populations rurales un mouvement qui aboutissait à leur émancipation, et faisait tomber les enceintes chevaleresques devant les massues et les arbalètes des Eidgenossen[3].

  1. Lucerne entra dans la ligue en 1332, Zurich en 1351.
  2. Zug et Glaris en 1352, Berne en 1353.
  3. Confédérés par un serment commun, d’où le mot huguenots.