Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1071

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

évidemment aux trois autres puissances du continent, et, dans un moindre degré, à l’Angleterre elle-même. Tout à coup de graves embarras surgirent du côté où la majorité démocratique des états suisses comptait, au contraire, sur des sympathies efficaces : la France menaça la confédération de prendre contre elle certaines mesures de rigueur, comme l’interruption des relations commerciales et la clôture hermétique des frontières, appuyée par un cordon de troupes échelonnées entre le Rhône et le Rhin. Les motifs d’une complication aussi grave dérivaient de la manière dont la Suisse, depuis 1830, entendait le droit d’asile et le pratiquait à l’égard des états voisins.

Sitôt que des menées révolutionnaires ou des projets combattus par les lois en vigueur échouaient hors des frontières de la Suisse, des troupes de réfugiés venaient gagner cet asile de la démocratie victorieuse. Quelques Français, quelques Italiens, un beaucoup plus grand nombre d’Allemands et de Polonais, profitaient d’une hospitalité désormais sans précautions et sans limites. Les cantons de Berne et de Thurgovie, avec le demi-canton de Bâle-Campagne, se distinguaient entre tous par la facilité empressée avec laquelle ils prodiguaient le droit de cité à des hommes dépourvus la plupart de ressources régulières, imbus d’une haine fanatique contre les institutions de leur pays, préoccupés d’utopies dangereuses sur la réforme de la société, trop ignorans d’ailleurs du passé de la Suisse, pour ne pas déclarer, dès qu’ils parvenaient aux emplois, une guerre aveugle et opiniâtre à ce que le temps y a laissé de plus honorable dans la théorie et de plus sûr dans la pratique. Bien que l’affluence d’hôtes semblables, surtout quand ils devenaient citoyens, fit nécessairement dans les états de la Suisse allemande, et dans le canton de Vaud où ils pénétraient aussi, baisser sensiblement le niveau de l’intelligence politique et de la moralité sociale, le péril immédiat vint d’un autre point. Naturalisé dans le canton de Thurgovie, le prince Louis Bonaparte s’y était formé une petite cour d’anciens officiers et de jeunes volontaires qui prenaient pour des élémens de force présente les souvenirs gigantesques d’une puissance ensevelie, vingt-cinq ans auparavant, dans les conséquences lugubres de ses propres excès. Strasbourg fut le théâtre d’une tentative dont l’audace pouvait, auprès des cœurs généreux, excuser la folie, mais dont la raison d’état obligeait le gouvernement français à prévenir efficacement le retour. Après une courte captivité, le champion des réminiscences impériales revint en Thurgovie, espérant y mettre ses prétentions à l’abri de la neutralité helvétique, dont il venait de méconnaître si étrangement les privilèges. Notre gouvernement demanda que le prince fût éloigné d’un pays d’où il pouvait continuer à troubler la France. Les circonstances qui précédèrent et suivirent cette notification excitèrent malheureusement dans plusieurs cantons une