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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1087

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à la merci, pour ainsi dire, de la communion opposée ; il est vrai que la présence de cet élément catholique impose à la majorité protestante certains ménagemens, dont les cantons entièrement catholiques tendent à se croire dispensés envers leurs adversaires. La position de ceux-ci n’en présente pas moins de sérieux désavantages. Ainsi l’état d’enchevêtrement dans lequel se trouvent les territoires partagés entre les deux communions catholique et protestante peut faire apprécier l’étendue des dangers que créerait à la population inférieure en nombre l’établissement d’une république unitaire en Suisse. Les catholiques pourraient bientôt se trouver réduits à un état d’ilotisme permanent, quoique masqué par une égalité dérisoire. C’est donc surtout pour eux que le maintien de l’autonomie dans chacun des cantons actuellement existans, et le respect, chez tous, des maximes de la tolérance, forment une condition essentielle de prospérité, d’existence même.

La statistique intellectuelle et morale d’un pays aussi compliqué que la Suisse ne saurait s’établir par des formules rigoureuses. Cependant les derniers événemens ont mis en relief quelques points qu’il importe de noter. Ainsi la prépondérance acquise aux doctrines du parti démagogique s’est déjà manifestée par de fâcheux effets dans l’ordre intellectuel. Ce parti, n’acceptant d’autre supériorité que celle du nombre, persécute la distinction de l’esprit avec plus d’acharnement que la distinction même de la naissance. Cette tendance n’a pas tardé à porter ses fruits. L’académie de Lausanne est déjà frappée de déchéance ; celle de Genève est fort ébranlée. Les universités de Zurich et de Bâle, la première surtout, ont beaucoup souffert ; les hommes éminens sont repoussés partout de la carrière de l’instruction publique. L’université organisée à Berne, sous un nom trop pompeux, depuis les événemens de 1831, n’a pas encore donné les signes d’une vitalité bien féconde. A côté de cette décadence de l’enseignement protestant, la Suisse catholique voit une foule d’étudians se presser dans les collèges des jésuites ; mais la plupart viennent du dehors, et ces établissemens ne peuvent rivaliser d’ailleurs ni en considération, ni en utilité bien reconnue, avec les anciens centres d’études créés soit par l’Oratoire, soit par les bénédictins. Sur l’horizon intellectuel de la Suisse, les clartés pâlissent ou s’éteignent tout-à-fait. L’instruction primaire, universellement répandue, produit des effets très divers suivant la diversité des cantons. Dans ceux où, de longue date, le peuple avait l’habitude de conduire ses propres affaires, on trouve l’intelligence politique singulièrement développée, et une finesse remarquable de jugement à côté d’une simplicité primitive de formes ; mais les populations long-temps sujettes, comme celles du vieux canton de Berne, n’ont point encore acquis la faculté de se gouverner elles-mêmes, et leur émancipation semble (à