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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1111

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en avant et se jeta à travers les broussailles. Nous la suivîmes. Quand nous pûmes soulever une torche pour distinguer les objets, hélas ! nous la vîmes à genoux auprès du corps de William ; il était étendu par terre, sans mouvement, les yeux ternes et le front couvert du sang qui s’échappait d’une blessure au côté gauche de la tête.

— Docteur ? me dit Eva.

Ce seul mot disait : — William vit-il encore ?

Je me penchai ; je tâtai le pouls de William Meredith ; je posai ma main sur son cœur, et je restai silencieux. Eva me regardait toujours ; mais, à mesure que mon silence se prolongeait, je la vis fléchir, s’incliner, puis, sans dire une parole, sans jeter un cri, elle tomba évanouie sur le corps mort de son mari.

— Mais, mesdames, dit le docteur Barnabé en se tournant vers son auditoire, voilà le soleil qui brille ; vous pouvez sortir maintenant. Restons-en là de ce triste récit.

Mme de Moncar s’approcha du vieillard : — Docteur, dit-elle, de grace, soyez assez bon pour achever ; regardez-nous, et vous ne douterez pas de l’intérêt avec lequel nous vous écoutons.

En effet, il n’y avait plus de sourires moqueurs sur les jeunes visages qui entouraient le médecin de village. Peut-être même eût-il pu voir des larmes briller dans quelques yeux. Il reprit son récit :

Mme Meredith fut transportée chez elle, et elle resta plusieurs heures sans connaissance sur son lit. Je sentais que c’était à la fois un devoir et une cruauté de lui prodiguer les secours de mon art pour la rappeler à la vie. Je redoutais les scènes déchirantes qui allaient succéder à cet état d’immobilité ; je demeurais penché vers cette pauvre femme, baignant ses tempes d’eau fraîche et épiant avec anxiété le triste et cependant l’heureux moment où je verrais le souffle de la respiration s’échapper de ses lèvres. Je m’étais trompé dans mes prévisions, car je n’avais jamais vu un grand malheur. Eva entr’ouvrit les yeux, puis les referma aussitôt ; aucune larme ne souleva ses paupières pour glisser sur ses joues. Elle resta glacée, immobile, silencieuse, et, si ce n’eût été le cœur qui avait recommencé à battre sous ma main, j’aurais pu la croire morte. Qu’il est triste de se trouver témoin d’une douleur que l’on sent au-dessus de toute consolation ! Je me disais que me taire semblait manquer de pitié pour cette malheureuse femme, que parler pour consoler semblait ne pas assez reconnaître la grandeur du malheur. Moi qui n’avais pu rien trouver à dire pour calmer une inquiétude, pouvais-je espérer être plus éloquent en face d’une pareille souffrance ? Je pris le parti le plus sûr, celui d’un silence complet. Je resterai là, me disais-je, je soignerai le mal physique, ainsi que cela est mon devoir, puis je me tiendrai immobile auprès d’elle, comme un chien dévoué se coucherait à ses pieds. Une fois ma résolution prise, je fus plus