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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1118

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un singulier contraste avec ses sourcils restés du plus beau noir. Il était grand et maigre, du moins je crus le deviner à travers les plis d’une large redingote de drap faite comme une robe de chambre. Ses mains étaient enfoncées dans ses manches, et une fourrure d’ours blanc enveloppait ses pieds malades. Il avait auprès de lui un guéridon sur lequel étaient placées plusieurs fioles contenant des potions.

— Milord, voici mon neveu le docteur Barnabé.

Lord J. Kysington me salua, c’est-à-dire qu’il fit un imperceptible mouvement de tête en me regardant.

— Il est fort instruit, reprit mon oncle, et je ne doute pas que ses soins ne soient utiles à votre seigneurie.

Un second mouvement de tête fut l’unique réponse faite à mon oncle.

— En outre, reprit celui-ci, son éducation ayant été assez bonne, il pourra faire la lecture à milord, ou écrire sous sa dictée.

— Je lui saurai gré de cette complaisance, répondit enfin lord J. Kysington, qui aussitôt ferma les yeux, soit parce qu’il était fatigué, soit parce qu’il voulait faire comprendre que la conversation devait en rester là.

Je pus alors regarder autour de moi. Il y avait auprès de la fenêtre une jeune femme, fort élégamment habillée, qui travaillait à une broderie sans lever les yeux vers nous, comme si nous n’étions pas dignes de ses regards. Sur le tapis, devant elle, un petit garçon jouait avec des images. La jeune femme ne me parut pas belle au premier abord, parce qu’elle avait des cheveux noirs, des yeux noirs, et qu’être belle, selon moi, c’était être blonde et blanche, comme Eva Meredith, et puis, d’après mon jugement très inexpérimenté, je ne pouvais séparer la beauté d’un certain air de bonté. Ce que je trouvais doux à regarder était ce que je supposais devoir être doux au cœur, et je fus long-temps avant de m’avouer la beauté de cette femme, dont le front était hautain, le regard dédaigneux et la bouche sans sourire.

Elle était, comme lord J. Kysington, grande, maigre, un peu pâle. Il y avait entre eux un certain air de famille. Leurs deux natures devaient trop se ressembler pour pouvoir se convenir. Ces deux personnes froides et silencieuses restaient sûrement l’une près de l’autre sans s’aimer, sans se parler. L’enfant avait aussi appris à ne pas faire de bruit, il marchait sur la pointe du pied, et, au moindre craquement du parquet, un regard sévère de sa mère ou de lord J. Kysington le changeait en statue.

Il était trop tard pour retourner dans mon village ; mais il est toujours temps pour regretter ce que l’on a aimé et ce que l’on a perdu. Mon cœur se serra en songeant à ma maisonnette, à mon vallon, à ma liberté.