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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1132

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elle n’avait plus qu’à veiller, qu’à veiller de loin, le jour et la nuit, comme la lampe qui brûle toujours sous la voûte de l’église.

Mais ses forces étaient épuisées. Au milieu de cette douleur revenue à son point de départ, le silence et l’immobilité, après avoir vainement essayé l’effort, le courage, l’espérance, Eva Meredith tomba en consomption. En dépit des ressources de mon art, je la vis maigrir et s’affaiblir. Où porter le remède quand c’est l’ame qui est atteinte ?

Pauvre étrangère ! elle aurait eu besoin du soleil de son pays et d’un peu de bonheur pour la réchauffer ; mais le rayon de soleil et le rayon de bonheur lui manquaient à la fois. Elle fut long-temps sans s’apercevoir de son danger, parce qu’elle ne pensait pas à elle-même ; mais, quand il ne fut plus possible qu’elle quittât son fauteuil, il fallut bien comprendre ! Je n’oserai pas vous peindre les angoisses de cette femme à la pensée de laisser William sans appui, sans amis, sans protecteur, de le laisser perdu au milieu des indifférens, lui qu’il fallait aimer et conduire par la main comme un enfant. Oh ! comme elle essaya de vivre ! Avec quelle avidité elle se jetait sur les boissons que je lui préparais ! Que de fois elle voulut croire à sa guérison ! Mais la maladie marchait. Alors elle retint plus souvent William à la maison ; elle ne voulait plus cesser de le voir.

« Reste avec moi, » disait-elle, et William, toujours content près de sa mère, s’asseyait à ses pieds. Elle le regardait long-temps, jusqu’à ce qu’un torrent de larmes l’empêchât de distinguer la douce figure de son enfant ; alors elle l’appelait plus près d’elle encore, le pressait sur son cœur, et, dans une espèce de délire : « Oh ! si mon ame qui va se séparer de mon corps pouvait, s’écriait-elle, devenir l’ame de mon enfant, que je serais heureuse de mourir ! »

Eva ne pouvait pas en arriver à désespérer tout-à-fait de la miséricorde divine, et, quand toutes chances humaines disparaissaient, ce cœur plein d’amour avait de doux rêves dont il se refaisait des espérances. Mais qu’il était triste, hélas ! de voir cette pauvre mère mourir lentement sous les yeux de son fils, d’un fils qui ne comprenait pas et qui lui souriait quand elle l’embrassait !

— Il ne me regrettera pas, disait-elle, il ne me pleurera pas, il ne se souviendra pas !

Et puis elle demeurait immobile, dans une muette contemplation de son enfant ; sa main alors parfois cherchait la mienne : — Vous l’aimez, ami docteur ? murmurait-elle.

— Je ne le quitterai pas, lui disais-je, tant qu’il n’aura pas de meilleurs amis que moi.

Dieu dans le ciel et le pauvre médecin de village sur la terre, voilà les protecteurs auxquels elle confiait son fils.

La foi est une grande chose !… Cette femme veuve, déshéritée, mourante,