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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1153

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l’air le plus misérable. Un feu clair cependant brillait sur une espèce d’âtres mais n’étendait son influence ni aussi loin, ni dans la même proportion que l’épaisse fumée qui corrodait nos yeux et gênait notre respiration avant de par venir à se dégager par les nombreuses ouvertures qui nous apportaient si librement l’air et le froid du dehors. »

M. de Bode put compléter sous cette humble tente les curieuses observations qu’il avait déjà recueillies sur les mœurs toutes bibliques des montagnards du Louristan. Cette race n’a perdu aucune des qualités qui sont le cachet des races primitives. Les hommes du Louristan se distinguent des autres habitans de la Perse par une vigueur et une hardiesse à toute épreuve. Cette hardiesse, cette vigueur, ils la doivent à leur vie active, à leur alimentation simple, à l’air fortifiant qu’ils respirent dans leurs montagnes. Leur principale occupation consiste à soigner leurs troupeaux de chèvres et de moutons ; leur nourriture est le gland du ébène, dont ils extraient une farine en le broyant entre deux pierres. Il est un trait pourtant qui les distingue des anciennes peuplades de la Chaldée. Bien que les Lours professent l’islamisme suivant les canons shiites, ils n’ont en général qu’une idée très confuse de leur religion. Toutes leurs croyances consistent en quelques rites superstitieux et en une vénération traditionnelle pour leurs piri, c’est-à-dire les saints aux tombeaux desquels ils vont en pèlerinage. Parmi les offrandes qu’ils apportent à ceux-ci, dans l’espoir d’en obtenir quelque faveur, on remarque le plus souvent de petites lampes en fer-blanc qu’ils suspendent avec des ficelles au-dessus de la tombe, ou des lambeaux de chiffons de couleur que leurs femmes attachent à quelque arbre consacré dans le voisinage. On voit en Perse de ces arbres qui comptent plus de chiffons que de feuilles.

Comme contraste à cette rudesse patriarcale, M. de Bode remarqua la bonne tenue des femmes ilyats. Il attribue cette supériorité d’un sexe que les coutumes orientales et musulmanes ont plus ou moins dégradé dans le reste de l’Asie à la liberté qui est inséparable de la vie nomade. La confiance qu’on lui témoigne élève la femme ilyat dans sa propre estime, et le sentiment qu’elle a de sa dignité se communique à ceux qui l’entourent. Il ne faut pas, bien entendu, demander à la compagne d’un Ilyat les vertus douces et les qualités raffinées de l’épouse européenne. On ne doit s’attendre à trouver en elle qu’une femme forte et capable de toute espèce de dévouement conjugal et maternel, mais rude, ignorante, et souvent aussi sauvage que son époux. Exercée dès l’enfance aux plus grossiers travaux, maniant seule la pioche, la hache ou la bêche, elle empiète même quelquefois sur le domaine de l’homme et partage ses dangers à la chasse ou dans le combat.

Une anecdote racontée par M. de Bode met en scène d’une façon fort piquante une de ces femmes qui unissent souvent le courage du guerrier aux vertus de la mère de famille. Le hasard lui fit rencontrer à Kermanshah la veuve d’un chef de tribu qui, pendant la minorité de son fils, montait elle-même à. cheval pour commander le contingent militaire de son clan. Entre autres aventures de cette héroïne, voici un trait qui nous reporte aux temps chevaleresques du moyen-âge. « Quand, jeune fille encore, elle vivait sous la tente de son père, c’était son habitude de revêtir des habits d’homme, et, armée d’un sabre et d’une bonne lance, de se placer en embuscade dans le désert pour, y rançonner les voyageurs. Un vieux Kourde, ayant eu un jour à traverser une partie