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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/122

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croyant autorisé à faire tout ce que les traités ne lui interdisaient pas en termes formels, il continua en pleine paix, et sous des prétextes souvent fort peu spécieux, le système de conquêtes et de réunions que la convention avait inauguré pendant la guerre. Il n’était pas moralement possible que les autres puissances se résignassent à être les spectatrices d’une telle politique. La guerre recommença, de nouvelles victoires de la France appesantirent encore le joug que l’Europe continentale avait voulu secouer, et tandis que l’Angleterre achevait de nous enlever l’empire de la mer, ses alliés, vaincus, accablés, subissaient, pour acheter un moment de repos, des conditions qui, détruisant toute espèce d’équilibre, faisaient de l’empire français un autre empire d’Occident. A partir de ce moment, toute conciliation sincère et durable devint impossible entre Napoléon et ses ennemis, en apparence domptés. Ni la paix de Presbourg, ni celle de Tilsitt, ni celle de Schönbrunn ne pouvaient durer plus que l’épuisement et la terreur qui les avaient fait accepter. Elles plaçaient les vaincus dans une position trop dure et trop humiliante pour qu’au moment même où ils croiraient entrevoir la possibilité d’en sortir, ils ne s’empressassent pas de tenter la fortune. D’un autre côté, l’édifice élevé par le vainqueur était si gigantesque, si disproportionné, si mal cimenté, malgré l’éclat dont l’entouraient la gloire et le génie de son fondateur, que l’espoir de le renverser devait subsister au fond du cœur de ceux qu’il opprimait momentanément. Eussent-ils désespéré d’y parvenir tant que Napoléon serait là pour le soutenir de sa main puissante, la pensée qu’il n’était pas immortel, et que son successeur serait probablement hors d’état de continuer son œuvre, suffisait pour les empêcher de se résigner.

Un esprit tel que celui de Napoléon ne pouvait s’abuser sur les conséquences forcées d’un pareil état de choses. Lorsqu’il rentrait en lui-même, il éprouvait sans doute le besoin de justifier à ses propres yeux la politique exorbitante qui le poussait vers le précipice. Les sophismes ne lui manquaient pas, comme ils ne manquent jamais pour colorer les plus dangereuses folies. S’attachant, sans tenir compte de l’ensemble des circonstances, au fait particulier, aux incidens immédiats de chacune des ruptures qui le mettaient successivement en guerre avec tous les états européens, il s’efforçait de démontrer que, s’il reprenait les armes, c’était pour repousser d’injustes provocations. Il présentait la dictature européenne dont il s’était emparé, les développemens gigantesques donnés à son empire, l’occupation de la Hollande, de l’Allemagne, de la Pologne, de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, comme des mesures temporaires, devenues indispensables pour établir définitivement un ordre politique fondé sur la nature des choses, sur les vrais besoins des peuples, et pour contraindre l’Angleterre à se désister enfin de ses prétentions à l’empire absolu des mers. Ce but une fois atteint, il serait