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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/153

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s’écartent d’autant plus les uns des autres, qu’ils sont eux-mêmes des représentans plus parfaits de leur type. Par conséquent aussi les séries résultant de ces évolutions successives seront très éloignées à leurs sommets, se rapprocheront par leurs bases, et les rapports d’une série à l’autre s’établiront, non point par les animaux supérieurs, mais bien par les animaux inférieurs.

Pour éclaircir ce qu’il peut y avoir d’abstrait dans les idées précédentes, qu’on nous permette une comparaison grossière, mais facile à saisir. On peut se figurer la marche suivie par les germes en voie de développement comme une route couverte de voyageurs. De cette route d’abord unique partent à droite et à gauche de nombreux chemins, qui divergent en s’écartant de la route centrale. N’est-il pas évident que les voyageurs engagés dans ces routes secondaires s’écarteront d’autant plus les uns des autres que le trajet parcouru par chacun d’eux sera plus long ? Eh bien ! les plus éloignés du point de départ général représentent en quelque sorte les animaux supérieurs ; ceux qui ne sont qu’à une faible distance du carrefour représentent les animaux inférieurs. Le saumon dont nous parlions tout à l’heure, les céphalopodes, les insectes, les crustacés, répondent aux voyageurs actifs : aussi n’y a-t-il entre eux que peu ou point de rapports ; l’amphioxus, les annélides, répondent aux piétons attardés : aussi trouvons-nous chez les uns et les autres beaucoup de points communs. Les deux sous-règnes des vertébrés et des invertébrés, si dissemblables quand on les étudie dans leurs représentans élevés, se touchent presque, grace à ces espèces inférieures, à ces représentans dégradés.

On voit combien, chez l’amphioxus, tout semble avoir été créé pour donner le démenti le plus complet aux doctrines de ces naturalistes qui, s’étayant d’une science vieillie, ou peut-être reculant devant quelques fatigues, traitent avec dédain l’étude des animaux inférieurs, repoussent les conséquences qu’elle entraîne, et font sans cesse appel aux seuls vertébrés. Peut-être, en présence des faits que vient leur montrer ce poisson, admettront-ils plus facilement à l’avenir ce que nous enseignent les vers et les zoophytes. A moins de nier l’évidence, on ne saurait aujourd’hui méconnaître que les représentans d’un même type sont loin de se ressembler, que leur organisation peut présenter des degrés très divers de perfectionnement et de dégradation. Qu’on se rappelle en outre ce que l’anatomie, d’accord ici avec l’embryogénie, nous apprend sur l’existence des types fondamentaux distincts se modifiant de mille façons pour engendrer les types secondaires, tertiaires…, et bientôt nous verrons disparaître à jamais ces conceptions systématiques qui donnent une si étrange et si fausse idée de la nature animée. Les êtres vivans ne nous apparaîtront plus comme