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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/157

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peut-on concevoir à la rigueur qu’un juge n’ait pas à tenir son audience faute de procès, qu’un médecin ne donne pas de consultations faute de malades. Il ferait beau voir les journalistes de l’opposition cesser, fût-ce un jour, d’attaquer les ministres faute de griefs ! Qu’en penseraient leurs lecteurs ? Il faut, à cause des lecteurs, que la politique entamée ne faiblisse jamais ; il faut même, pour les tenir constamment en haleine, qu’elle s’anime successivement, et que, par une gradation plus conforme peut-être aux règles de l’art qu’au cours naturel des choses, les derniers actes de la politique ministérielle soient toujours signalés comme les plus fâcheux. C’est ainsi que sans aucune variété de ton, avec une indignation toujours croissante, vingt feuilles plus ou moins accréditées dressent chaque matin, en style de réquisitoire, leur acte d’accusation contre le cabinet. Cependant le public, qui a voix au chapitre, et ne manque pas d’occasions de faire connaître et triompher son opinion, a le tort de ne pas prendre ces invectives au grand sérieux. Chaque fois qu’il est consulté directement, il n’hésite pas à se mettre du côté de son gouvernement et contre les frondeurs. Que font alors ceux-ci ? N’ayant pu avoir raison des hommes, ils s’attaquent aux institutions ; ils en font ressortir les lacunes et les apparentes contradictions et demandent à grands cris les modifications qu’ils supposent utiles à leurs intérêts de parti ; mais le pays qui, par un fonds de malice invétérée, prêtait assez volontiers l’oreille au mal qu’on lui disait de ses ministres, ne se soucie pas que l’on traite aussi légèrement ses institutions, il les aime, les respecte par raison autant que par habitude : il ne veut point souffrir qu’on y porte étourdiment la main, et les mécontens sont encore battus sur ce point. Alors leur mauvaise humeur ne connaît plus de limites. Ce n’est plus aux hommes du pouvoir, aux institutions qu’ils demandent compte des horreurs qu’ils continuent de plus belle à dénoncer, c’est à la société elle-même qu’ils s’en prennent. La société tout entière est mise en suspicion et rudement taxée d’inintelligence, de corruption et de lâcheté. Les diatribes abondent sur la faiblesse des convictions, sur la dépravation des mœurs publiques, et les honnêtes citoyens qui avaient lu jusqu’alors, non sans quelque surprise, que des hommes considérables dont ils étaient disposés à faire cas étaient des gens imprévoyans, pusillanimes, traîtres à la patrie, apprennent un beau matin, à leur grande stupéfaction, qu’ils sont eux-mêmes véhémentement soupçonnés d’être sans vertus civiques, sans courage, et, qui sait ? peut-être vendus à l’étranger.

Des accusations banales dont les motifs sont si apparens ne devraient pas avoir grande autorité. Les personnes qui n’ont pas voulu croire au mal qu’on leur disait des hommes d’état, des institutions de leur temps, devraient savoir que penser de celui qu’on leur dit d’elles-mêmes. Chose singulière ! il n’en est pas tout-à-fait ainsi. A force d’entendre calomnier