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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/197

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moment où il dépendait du comte de Montemolin, en souscrivant à certaines conditions, d’épouser la reine Isabelle. C’est ce que le prétendant a rappelé à lord Palmerston pour lui prouver qu’il ne pouvait adopter le parti qu’il lui proposait.

Le fils de don Carlos ne veut pas être traité en infant d’Espagne, car il s’en considère comme le roi. Il restera donc jusqu’à nouvel ordre en Angleterre, et là, avec l’agrément de lord Palmerston, il ourdira des intrigues, contractera un emprunt, achètera des armes, et se préparera à porter la guerre civile dans son pays. On prête au prétendant des projets sur les îles Baléares. Il tenterait de s’emparer de Minorque et s’établirait à Mahon, qui serait sa capitale, en attendant qu’il entrât à Madrid. Ce dessein ne saurait déplaire aux Anglais, qui avanceraient volontiers de l’argent au fils de don Carlos sur l’hypothèque des Baléares.

Le prétendant est dans son rôle quand il s’agite, quand il cherche à réunir, pour l’accomplissement de ses entreprises, de l’argent et des hommes ; mais lord Palmerston est-il vraiment dans le sien, est-il fidèle aux devoirs d’un ministre anglais quand il encourage les menées du comte de Montemolin ? L’Angleterre est partie contractante dans le traité de la quadruple alliance, qui garantit les droits et le trône de la reine Isabelle ; lorsqu’en 1839, don Carlos, fuyant devant Espartero, a cherché un refuge en France, il n’a été retenu à Bourges que de concert avec le gouvernement anglais, qui voulait alors la pacification de l’Espagne. À cette époque, lord Palmerston était aux affaires ; c’est lui aussi qui, en 1834, a signé avec le prince de Talleyrand le traité de la quadruple alliance, et c’est le même ministre qui, en 1846, accueille et favorise le fils de don Carlos, héritier de toutes les prétentions de son père au trône d’Espagne ! Lord Palmerston n’a pas plus oublié tous ces antécédens que son fameux discours de cet été au sujet de Cracovie ; mais c’est son caractère, son habitude de tout sacrifier à l’idée, à la passion du moment. L’étrange conseil qu’il a donné au fils de don Carlos montre bien le fond de sa pensée ; il aurait voulu mettre à côté de la reine Isabelle, dans la personne du comte de Montemolin, un prince factieux qui eût été une menace permanente pour le trône de la fille de Ferdinand VII. L’Angleterre n’eût pas paru sur le premier plan ; seulement elle aurait eu dans le comte de Montemolin un instrument comme elle en avait cherché un dans l’infant don Enrique. De cette manière, le traité de la quadruple alliance, sans être déchiré ostensiblement, eût été tout-à-fait éludé.

Entre les mains de lord Palmerston, la politique anglaise, qui, avec d’autres hommes d’état, est si réfléchie et si consistante, se porte à des extrémités, à des contradictions qui jettent le trouble dans les relations qu’on pourrait croire le mieux établies. Nous l’avons vu, en 1840, sacrifier l’alliance de la France à une apparence d’intimité avec la Russie ; en 1846, il redevient notre adversaire, et de plus il se montre l’ennemi de l’Espagne constitutionnelle. Et quelle est la cause de ce dernier changement ? Une combinaison matrimoniale qui a contrarié les vues et les désirs du ministre anglais. Plus on y songe, plus on demeure convaincu que, dans cette affaire d’Espagne, la France et l’Angleterre se trouvent surtout divisées par des questions de vanité, et encore c’est seulement l’amour-propre de lord Palmerston qui est en jeu. Depuis la mort de Ferdinand VII, l’Angleterre a constamment agi de concert avec la France pour assurer la cou-