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Nous voulons croire aussi que la Russie, quelles que soient ses convoitises, n’oubliera pas la prudence dont elle a su jusqu’à présent couvrir son ambition. Elle comprendra que trop d’impétuosité, trop d’audace dans sa marche, pourraient plutôt lui nuire que la servir. Si sincère que soit en Europe le désir de conserver la paix, il y a telles entreprises qui pourraient la troubler de la manière la plus grave. La Russie ne saurait prendre ouvertement une allure conquérante sans exciter en Allemagne un cri d’indignation et de terreur ; elle ne l’ignore pas, et elle évitera, en redoublant d’habileté, de provoquer une pareille résistance. Toutefois il est incontestable que le refroidissement si marqué entre la France et l’Angleterre l’a enhardie dans ses desseins, et ce n’est pas là un des effets les moins fâcheux de la politique suivie à notre égard par lord Palmerston. À l’heure qu’il est, le ministre whig, auquel les projets de la Russie inspirent de l’inquiétude, peut reconnaître que, sans le vouloir, il a lui-même donné des encouragemens indirects à cette ambition si active. Avons-nous tort de dire que les intérêts les plus élevés, comme les intérêts les plus positifs, sont en souffrance par l’extrême froideur qui règne aujourd’hui entre la France et l’Angleterre ?

L’Espagne vient de terminer ses élections, et les amis de la monarchie représentative de la reine Isabelle n’ont pas à se plaindre du résultat. Le parti modéré a une majorité incontestable, et il y aura au sein des cortès une opposition qui sera l’organe constitutionnel du parti progressiste. Au fond, cette situation est bonne : elle dénote que dans la Péninsule des mœurs politiques commencent à se former. On a pu voir que, livrée à elle-même, l’Espagne ne voulait pas retomber dans l’anarchie. Maintenant c’est au parti modéré, qui revient en majorité aux cortès, d’organiser sa victoire, de la féconder, et il a sur ce point des devoirs d’autant plus graves à remplir, qu’il se trouve en face d’un ministère en pleine dissolution : Tout ce qu’a pu faire le cabinet présidé par M. Isturitz, ç’a été de rester debout jusqu’à la fin de l’épreuve électorale : il ouvrira les cortès ; mais, tel qu’il est, il n’a plus d’avenir devant lui. Il faut maintenant que la majorité se constitue, et que de son sein sorte un ministère qui gardera quelques hommes distingués de l’administration actuelle, en les associant à des noms nouveaux.

C’est ce que le parti modéré a compris. Déjà des réunions préliminaires ont eu lieu entre un grand nombre de députés conservateurs ; on s’y est entretenu de la nécessité, pour le parti modéré, de ne pas se diviser par des nuances, par des dissentimens impolitiques, au moment où les progressistes présentent une minorité imposante. Les progressistes auront d’ailleurs, dans les cortès, de brillans orateurs, et chez un peuple que les émotions parlementaires n’ont pas encore blasé, l’éloquence peut avoir la puissance de déplacer la majorité. M. Olozaga va reparaître sur la scène politique. Les modérés doivent donc serrer leurs rangs, et, quand ils auront étouffé toutes les divisions qui séparaient les puritains des conservateurs proprement dits, ils devront songer à porter au pouvoir un cabinet habile et fort qui sache tenir compte de toutes les modifications qu’ont subies les hommes et les choses. Les conservateurs espagnols sont appelés aujourd’hui à comprendre ce qu’a plusieurs fois reconnu parmi nous le parti conservateur : c’est que la force politique n’est pas dans l’immobilité, mais dans l’art de marcher à propos avec l’opinion d’un pays. Sur les listes qui ont déjà couru