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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/209

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moyens n’eût permis au premier consul de réaliser d’une façon presque infaillible le plan dont son ambition semblait satisfaite en 1801. Jeter sur un point du territoire anglais un détachement assez fort pour enlever quelque ville importante du littoral n’eût été qu’un jeu d’enfant pour la flottille. Le vainqueur de l’Égypte et de l’Italie mûrissait d’autres pensées ; il ne voulait plus faire peur à l’Angleterre, mais la conquérir. Il méditait de porter sur ses côtes 120,000 hommes à la fois, et songeait à faire renaître sur les plages du comté de Kent ou de Sussex la journée décisive d’Hastings. Il semble qu’il ait d’abord pensé que la flottille, armée de 3,000 bouches à feu de gros calibre, habile à se mouvoir à l’aide de la rame comme de la voile, saurait se frayer d’elle-même un passage à travers les escadres anglaises. Il fallait pour cela une chance heureuse, une journée de calme ou une journée de brume ; Bonaparte avait obtenu déjà de plus rares faveurs du sort ; il céda cependant aux objections qu’on lui présentait de toutes parts, et songea à couvrir le passage de la flottille par la présence d’une flotte dans la Manche. Disposant en maître des débris de la marine espagnole et de la marine hollandaise, il s’empressa de rassembler les vaisseaux que l’Angleterre n’avait point détruits encore, et, par de longs détours, se prépara à les amener entre Douvres et Boulogne. Depuis le renouvellement des hostilités jusqu’à la veille de la bataille de Trafalgar, tous les événemens convergent vers ce but. C’est un drame qui se déroule lentement, que l’on voit poindre, grandir, toucher un instant à une issue favorable, et se terminer par une catastrophe.

Du jour où le premier consul avait jugé l’existence d’une grande marine, nécessaire à l’accomplissement de son entreprise, il avait mis à réparer nos pertes cette puissante énergie qui présidait à l’exécution de tous ses projets. Au mois de mars 1803, 10 vaisseaux devaient être en chantier à Flessingue et dans nos trois grands ports de commerce, Nantes, Bordeaux et Marseille. Brest en devait construire 3 autres, Lorient 5, Rochefort 6, Toulon 4, Gênes et Saint-Malo 2[1]. L’effectif de notre flotte pouvait atteindre ainsi, en moins de deux années, le chiffre de 66 vaisseaux de ligne ; mais déjà les Anglais nous avaient devancés. Nos ports étaient bloqués, et, dès le 1er juin 1803, 60 vaisseaux avaient repris leur poste d’observation sur nos côtes. Cornwallis croisait devant Brest, Collingwood au fond du golfe de Gascogne, l’amiral Keith dans la Manche, lord Nelson devant Toulon. Ce dernier avait vivement sollicité le comte mandement de la Méditerranée. Tout annonçait, en effet, que ce serait encore là le théâtre le plus actif de la guerre. Malte, Corfou, la Sicile,

  1. Les vaisseaux qui devaient être construits à Nantes, Bordeaux, Marseille et Saint-Malo n’ont jamais été achevés ; les bois déjà préparés pour ces constructions furent transportés dans nos grands ports de guerre.