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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/223

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d’officier intrépide. Choisi pour ambassadeur par la cour de Madrid, il vint à Paris en 1805 et plut à l’empereur, qui le désigna pour commander la flotte espagnole. On n’approchait point impunément de l’empereur. Gravina, qui, à l’âge de cinquante-huit ans, cachait encore, sous une grande simplicité de manières, un caractère exalté et chevaleresque, tomba complètement sous le charme. Sans consulter les forces d’une marine dégénérée, il promit de suivre la flotte française partout et à toute entreprise[1]. Le 3 avril, plein d’ardeur et brûlant d’entrer en campagne, il arborait son pavillon sur le vaisseau l’Argonauta, mouillé en rade de Cadix. L’Espagne possédait 16 vaisseaux dans ce port ; mais le dénûment complet dans lequel étaient tombés les arsenaux, les ravages que venait d’exercer la fièvre jaune sur le littoral déjà dépeuplé, avaient opposé à la bonne volonté du cabinet de Madrid et au zèle infatigable de notre ambassadeur, le général Beurnonville, des obstacles insurmontables. Au bout de trois mois et à force d’expédiens, on était parvenu à armer 6 vaisseaux, dont 2 de 64, les plus misérables bâtimens, à l’exception de l’Argonauta, qu’on eût jamais envoyés à la mer[2]. Pour former les équipages de cette escadre, il avait fallu avoir recours à la presse, et on n’avait ainsi recueilli, de l’aveu même du général Beurnonville, qu’une racaille épouvantable[3]. Les officiers, il est vrai, qui montaient ces vaisseaux si mal armés, braves et instruits pour la plupart, étaient fort dévoués à leur amiral ; mais ce n’était pas d’officiers dévoués qu’avait manqué la marine espagnole depuis le commencement de la guerre : d’héroïques résistances avaient honoré le pavillon de Charles IV ; aucune résistance heureuse ne l’avait rendu redoutable à l’ennemi.

Un exemple bien récent encore eût dû cependant nous ouvrir les yeux sur le danger d’appeler dans la lice de semblables auxiliaires. Le 6 juillet 1801, peu de temps avant la paix d’Amiens, on avait vu trois vaisseaux français, protégés par deux méchantes batteries et une position habilement choisie, combattre avec avantage, devant Algésiras, six vaisseaux anglais. Quelques jours après ce combat, dans lequel le vaisseau l’Hannibal resta en notre pouvoir, une division de 5 vaisseaux espagnols sort de Cadix avec un sixième vaisseau donné à la France, le San-Antonio, sur lequel on jette à la hâte un équipage. L’amiral Linois, qui commande notre escadre, appareille avec ce renfort. Sir James Sammarez, qu’il vient de vaincre, appareille aussi pour le poursuivre. Les 9 vaisseaux des alliés prennent chasse devant 5 vaisseaux anglais, et à l’un des plus beaux combats de notre marine succède un épouvantable désastre. Le San-Antonio, entouré, est forcé de se rendre.

  1. Lettre de l’amiral Gravina à l’amiral Decrès.
  2. Lettre de l’amiral Villeneuve à l’amiral Decrès.
  3. Lettre du général Beurnonville à l’amiral Decrès.