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accourait déjà sous toutes voiles pour la combattre ; mais à des grains violens succéda bientôt un nouveau calme, et la nuit survint avant que les deux flottes eussent pu se reconnaître. Des feux se montrèrent alors sur divers points de l’horizon. C’étaient les signaux de l’armée anglaise et des bâtimens qui éclairaient sa route. Des coups de canon répétés de proche en proche, des feux de Bengale jetant au milieu de l’obscurité la plus profonde une lueur vive et soudaine, vinrent se joindre à ces signaux et apprendre à l’amiral Villeneuve qu’il essaierait vainement de dérober sa marche à ses actifs adversaires. Vers dix heures du soir, cet amiral sentit la nécessité de rallier ses vaisseaux. Il fit le signal de former la ligne de bataille[1]. Le jour suivant, le 21 octobre 1805, jour de sinistre mémoire, trouva les deux armées à la hauteur du cap Trafalgar. Nelson, modérant habilement sa poursuite pendant la nuit, avait conservé sur Villeneuve l’avantage du vent. Au lever du soleil, il rallia ses bâtimens dispersés et chercha des yeux nos vaisseaux. A quatre ou cinq lieues de la flotte anglaise, répandue en désordre sur un vaste espace, et prolongeant sous petites voiles la côte d’Andalousie encore enveloppée des vapeurs du matin, la flotte combinée faisait route vers le détroit[2].

  1. « Le 20 octobre, à neuf heures du soir, l’escadre anglaise fit des signaux à coups de canon, et, par l’intervalle d’à peu près huit secondes qui s’écoula entre le moment où nous aperçûmes l’éclair et celui où nous entendîmes le bruit de chaque coup tiré par les vaisseaux ennemis, nous pûmes calculer qu’ils étaient à environ deux milles de notre escadre. Nous signalâmes avec des feux, à l’amiral français, la nécessité de former, sans perdre de temps, la ligne de bataille, en se formant sur les bâtimens le plus sous le vent. Cet amiral répéta ce signal à coups de canon. » (Rapport du combat de Trafalgar adressé au prince de la Paix, le 22 octobre 1805, par le contre-amiral Escaño, chef d’état-major de l’amiral Gravina. — Extrait de la Gazette de Madrid, du 5 novembre 1805.)
    « … Le 20 octobre, vers neuf heures du soir, l’amiral signala de former promptement l’ordre de bataille sans égard aux postes… L’armée était très dispersée ; les vaisseau » de la ligne de bataille et ceux de l’escadre d’observation se trouvaient confondus. » (Rapport de M. Lucas, commandant le Redoutable, au ministre de la marine.)
  2. « … Nous étions sans ordre au point du jour le 21, lorsque nous aperçûmes l’ennemi au vent à nous… » (Rapport du contre-amiral Escaño.)
    « … Le 21 octobre, à sept heures du matin, l’amiral Villeneuve signala l’ordre de bataille naturel, tribord amures. Notre armée était à peu près sans ordre, mais dans un peloton assez ramassé, et se prolongeant moins que l’escadre anglaise. » (Rapport du contre-amiral Dumanoir-le-Pelley. — Plymouth, 16 novembre 1805.)
    « … Vers les sept heures du matin, l’amiral signala de former la ligne de bataille dans l’ordre naturel, les amures à tribord. » (Rapport du commandant Lucas.)
    L’histoire renferme bien peu d’événemens importans dont les détails nous aient été transmis avec cette unanimité de témoignages qui ne laisse aucune prise à la controverse. Le combat de Trafalgar devait donc offrir, comme toutes les grandes catastrophes, certains points douteux et obscurs sur lesquels les souvenirs des contemporains ou des acteurs mêmes de ce terrible drame ne jetteraient peut-être aujourd’hui qu’une lumière insuffisante : en présence de cette inévitable incertitude, le tableau suivant des seuls signaux